Les revues en sciences de la communication

Annie Le Saux

Collant on ne peut mieux à l’actualité, l’Institut des sciences de la communication du CNRS et l’Institut de l’information scientifique et technique ont organisé, dans les locaux de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), une journée de réflexion sur le classement et l’évaluation des revues, les indicateurs et leur fiabilité, leur adéquation au rôle et au fonctionnement des revues, l’avenir de l’édition papier face à l’édition électronique. Cette 2e Journée d’étude sur les revues en sciences de la communication a accueilli, le 14 mai 2009, une soixantaine d’enseignants et de chercheurs.

Problématiques

Une des problématiques, abordée d’emblée par Dominique Wolton (directeur de publication d’Hermès), oppose revues et ouvrages, dans une discipline où la vente de ces derniers est en perte de vitesse. Une perte de vitesse due, selon les enseignants chercheurs, à la frilosité du monde de l’édition à l’égard des sciences humaines et sociales mais aussi, selon Dominique Wolton, dont l’avis est partagé par les éditeurs, à la tendance des chercheurs à publier surtout des articles, « plus faciles à écrire et à publier que les livres ».

Autre problématique, et non moindre, celle liée à la définition du champ disciplinaire. Parle-t-on de sciences de la communication, de sciences de l’information et de la communication ou, comme à l’Inist, de sciences de l’information et de la documentation ? Dans les pays francophones (AUF oblige), la géopolitique prend le dessus sur ce questionnement scientifique (Olivier Sagna). Et, en Roumanie et Bulgarie (Michel Bourse, université de Nantes, rédacteur en chef de la revue électronique internationale Signes, discours et sociétés  1), cette discipline n’existe simplement pas.

En France, le nombre d’enseignants chercheurs en SIC est d’environ 750, les publications certifiées (c’est-à-dire validées par les pairs), peu nombreuses, ont tendance à s’enfermer dans un « ghetto ». Pour en sortir, Dominique Wolton propose des solutions de bon sens (donc difficiles à mettre en œuvre), comme de les ouvrir impérativement à d’autres champs disciplinaires, de rationaliser les relations qu’elles entretiennent (ou n’entretiennent pas ?) entre elles, mais aussi de les rendre lisibles et compréhensibles : « Pas besoin d’ésotérisme intellectuel, qui enferme dans les communautés » – le sujet portait bien pourtant sur les revues en sciences de la communication. Les textes sont, constat fréquent, écrits pour des pairs et non pour le grand public académique, dans une écriture conforme à l’esprit d’une thèse, mais qui apparaît jargonneuse et inappropriée lorsqu’elle est lue par un public moins averti.

Dans ce domaine relativement retreint, la méconnaissance des revues étrangères en France et des revues françaises à l’étranger est d’autant plus étonnante. Pour pallier le fait que, dans les banques de données documentaires dédiées à la recherche et qui ont un rayonnement international, on trouve essentiellement des articles en langue anglaise, la solution suggérée par Philippe Jeannin (université de Toulouse) consiste à publier des revues bilingues. Ce à quoi sont objectés la lourdeur et le coût élevé des traductions, surtout pour les revues à petits tirages, qui leur préfèrent, comme d’ailleurs bon nombre de revues, les résumés multilingues.

Evaluation des revues

« Pourquoi mesurer, que mesure-t-on, quelle est la pertinence des indicateurs et quel usage en fait-on – récompense ou sanction ; reconnaissance ou critique ? » s’est interrogé Paul Rasse (université Nice Sofia-Antipolis). Avoir cette culture épistémologique et en faire un moyen de gouvernance comptent désormais parmi les démarches nécessaires aux revues pour asseoir leur pérennité (Philippe Jeannin, université de Toulouse).

La composition du comité de lecture, du conseil scientifique et la renommée du directeur de la publication aident à légitimer le statut de revue scientifique. De même que l’utilisation qui est faite de la revue. Comment mesurer celle-ci ? Les index de citations ou le facteur h  2 montrent des limites, parmi lesquelles ce détournement bien connu : « Je te cite, tu me cites. » De plus, en France, en sciences humaines et sociales, les auteurs citent peu et, quand ils le font, ce sont à 80 % des références à des ouvrages et non à des revues (Paul Rasse).

La revue, « objet médiateur qui porte des connaissances scientifiques » est pourtant « un moyen d’évaluer des recherches et d’évaluer des chercheurs » (Viviane Couzinet, université Toulouse-3). Un groupe de travail mis en place par le Conseil national des universités a élaboré une liste de critères auxquels doivent répondre les revues pour figurer sur la liste des revues qualifiantes françaises  3 et étrangères, parmi lesquels figurent l’évaluation à l’aveugle des articles, leur réécriture et leur correction, le nombre d’articles publiés par an, la longueur des articles, la durée de vie de la revue… Une liste en appelant une autre, l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement) a entrepris d’en élaborer une, globale et pas selon des frontières disciplinaires comme celle du CNU ; cette liste, en cours de publication, vise à « évaluer le dynanisme des équipes et non des individus » (Arnaud Mercier, université de Metz). Le CNU et l’AERES ont, chacun, validé la liste de l’autre.

Les portails

Centrés sur un domaine particulier, en l’occurrence les sciences humaines et sociales, Persée, Cairn, Revues.org et bientôt I-revues sont des portails censés accroître la visibilité des revues qu’ils hébergent, ce dont une telle multiplicité d’offres peut faire douter. Cette variété de portails se justifie-t-elle par les modèles économiques différents qu’ils proposent, qui vont de l’accès gratuit à toutes les revues jusqu’au dernier numéro paru (Persée), à l’accès payant au texte intégral des numéros récents (Cairn, qui ne recense que les numéros publiés depuis 2001) ou à un abonnement mixte (I-revues, projet de l’Inist) ? Certains d’entre eux élargissent peu à peu leurs offres : accès à l’unité, accès aux numéros épuisés, à des revues étrangères. Revues.org ouvre son site à des ouvrages, annonce des événements scientifiques via « Calenda », et informe sur les recherches en cours via « Hypothèses ».

Parmi les questions encore en suspens, celle de la place du support numérique et de la confiance que l’on peut avoir dans ce genre de publication quand on sait que certains de ces textes ont été préalablement refusés par des revues papier.

Une certitude cependant à la fin de cette journée, c’est que « plus on multiplie les éléments d’évaluation et plus on approche de la vérité ».

  1. (retour)↑   Cette revue est publiée par quatre universités partenaires : une en Turquie, deux en Roumanie et une en Bulgarie, avec le soutien de l’AUF. http://www.revue-signes.info
  2. (retour)↑   Le facteur h, développé par Jorge E. Hirsch, englobe dans un seul chiffre les publications et les citations : obtention d’une coïncidence entre un nombre équivalent de publications et de citations.
  3. (retour)↑   Dans cette liste de revues qualifiantes de la section 71 – Sciences de l’information et de la communication – du Conseil national des universités, le BBF figure, de même que Documentaliste – Sciences de l’information.