Trafics de biens culturels
Modern issues on traffics of cultural heritage
Guillaume Lebailly
Les 8 et 9 avril derniers, avait lieu à la Bibliotheca Alexandrina une rencontre internationale portant sur les trafics de biens culturels, dans le cadre du projet Manumed, piloté par le Centre de conservation du livre (Arles), dirigé par Stéphane Ipert *. Ce projet, largement financé par la Commission européenne au titre du programme Euromed Heritage IV et par la Région Paca, vise à valoriser et préserver langues et écrits méditerranéens par des actions multidisciplinaires auprès des professionnels comme du grand public.
Conflits de propriété et coopération internationale
Dans son introduction, S. Ipert a rappelé l’importance de la circulation d’information législative sur ces trafics déjà nombreux à l’époque de Cicéron. Le professeur Norman Palmer, conscient que les trafics illégaux restent nombreux, a voulu donner une note d’espoir en citant le cas de la Mappa mundi de Hereford, que l’évêque local souhaitait vendre, mais que l’Unesco a finalement classée, empêchant la perte de ce trésor du xiiie siècle. Les procès augmentent parallèlement à la demande d’accès direct au patrimoine écrit, dont la valeur prend souvent un caractère identitaire : les mouvements d’œuvres doivent être contrôlés pour éviter déperditions ou litiges, dans un contexte où la règle du lex situs couplée à la multiplicité des lois nationales rend les consensus difficiles.
Richard Ellis, de Scotland Yard, confirme qu’une coopération internationale est indispensable au pistage des trafics, en amont des salles de ventes. Collectionneur, receleur ou pilleur, le profil du voleur de livres est insaisissable, surtout quand il gagne la confiance des bibliothèques : le découpage des volumes des Birds of America d’Audubon conservés en Russie avait ainsi failli passer inaperçu du fait du talent du voleur à conserver intactes les reliures dans les réserves.
Après une présentation institutionnelle du programme Euromed Heritage IV par Jean-Louis Luxen, Wojciech Kowalski, de l’université de Silésie, évoque l’expérience polonaise en matière de conservation et de récupération de manuscrits : la Pologne collabore avec d’autres États dans des dossiers de restitution d’œuvres, comme actuellement la réclamation allemande d’une partie de l’ancienne bibliothèque prussienne évacuée en Pologne par les nazis.
Tullio Scovazzi, professeur à Milan, ouvre la seconde journée en rappelant les différentes résolutions internationales adoptées depuis la convention de La Haye (1954). Ces textes, s’ils encouragent la restitution des biens spoliés, permettent surtout de voir émerger de nouvelles exigences de coopération, de préservation du contexte culturel des objets et de prise en compte des forces et faiblesses des États concernés, pour assurer sécurité et diffusion du patrimoine mondial.
Ina Jahn, de l’Institute of Art and Law, présente le cas de la galerie Beaverbrook, qui a pu, par un arbitrage efficace, prouver la légitimité de sa possession d’œuvres revendiquées par les héritiers du collectionneur. De plus en plus d’affaires de ce type sont résolues par des moyens autres que l’action en justice : arbitrage, négociation, médiation, conciliation, expertise, mais aussi moyens politiques et diplomatiques.
Charles Goldstein, avocat à New York, examine le cas des déprédations nazies et de la longue entreprise d’identification et de restitution des biens spoliés tant par les nazis que par l’URSS de Staline.
Conservation et diffusion du patrimoine
Après une évocation par l’avocat Luke Harris de l’affaire de la pierre de Rosette et de l’influence de la médiatisation sur les procès, Oliver Urquhart-Irvine, de la British Library, présente les initiatives de son établissement en matière de coopération et de diffusion du patrimoine : aux valeurs actées dès 1753, il ajoute des engagements plus récents dans le domaine de la collaboration et de la conduite diplomatique. Parmi les exemples cités, le Codex Sinaiticus, manuscrit conservé en quatre lieux, a été numérisé de manière collaborative afin d’être mis à disposition des internautes.
W. Kowalski intervient sur les statuts et les droits des manuscrits. Prenant l’exemple des rouleaux de la mer Morte, il rappelle que, selon le Conseil de l’Europe, ces documents représentent un patrimoine universel inaliénable à mettre à disposition de chacun.
Freda Matassa, consultante, propose une série de conseils pratiques concernant le suivi des prêts d’œuvres : si les prêts entre musées ou bibliothèques sont vitaux, ils doivent faire l’objet de vérifications pour chaque étape du déplacement.
Elizabeth Sobczynski (fondation Levantine) présente le travail effectué sur le site de Deir al Surian. Ce monastère copte, qui abrite depuis le vie siècle une riche collection de manuscrits, sera doté d’une nouvelle bibliothèque.
Au cours du débat final, Johannes Den Heijer (Université catholique de Louvain) insiste sur le fait que la numérisation ne résout pas à elle seule l’idée d’accessibilité aux documents : outre les réticences institutionnelles parfois importantes, il apparaît utile de s’accorder sur les méthodes d’inventaires des objets déjà recensés.
Sid Ahmed Kayla, venu d’Annaba (Algérie), affirme que la bonne conservation naît de l’intérêt qu’on y porte, remarque que S. Ipert reprend à son compte en concluant sur la triple dimension de la conservation de manuscrits : connaissance, protection et diffusion. Dans ce monde pluridisciplinaire, conservateurs, philologues et juristes doivent pouvoir coopérer : le projet Manumed y veillera.