Les 100 mots de l’édition
Serge Eyrolles
Coll. Que sais-je ? No 3850
ISBN 978-2-1305-7463-7 : 9 €
Paris, Le Cavalier bleu Éditions, 2009, 126 p., 18 cm
Coll. Idées reçues
ISBN 978-2-8467-0235-5 : 9,50 €
Des vade-mecum pour l’édition
Paraissent quasiment au même moment, dans deux collections différentes, ces ouvrages, de la catégorie « vade-mecum », qui ont l’ambition, en moins de 128 pages, de nous apprendre ou de nous rappeler l’essentiel sur le vaste sujet du monde éditorial, son fonctionnement, ses rouages, ses mystères.
Une impression d’hétérogénéité
Dans le premier, Serge Eyrolles, éditeur et président du Syndicat national de l’édition, s’efforce de réaliser ce noble projet à travers 100 entrées – sur le choix desquels la critique est certes aisée, car l’exercice est tout à fait périlleux –, mais qui met sur le même plan des termes demandant d’amples développements comme Propriété intellectuelle ou Diversité culturelle et d’autres à la définition et à la teneur nécessairement plus étroites comme… Bon à tirer.
Il résulte de ce choix une impression d’hétérogénéité au feuilletage, qui se renforce quand on essaie de comprendre plus à fond la disparité entre les articles. Et notamment dans leur longueur : ainsi pourquoi plus de trois pages pour détailler la TVA, lorsque l’article Livre n’en comporte que deux et que celui intitulé Impression des livres (et non Imprimeur ou Imprimerie) ne fait qu’un paragraphe ? On peut d’ailleurs s’interroger – sans parler de son contenu, discutable à plusieurs égards – sur la pertinence de cet article Livre, alors que ne figurent pas les termes de Collection, Presse, Multimédia, Produits dérivés, etc.
Certes, certains articles étonnamment succincts sont en réalité complétés à travers le développement (et les explications complémentaires) de certains termes marqués d’astérisques : ainsi le lecteur resté sur sa faim devant les quinze lignes de Dadvsi (loi) pourra utilement consulter Exception « bibliothèques », Exception en faveur des personnes handicapées et Exception pédagogique, sans oublier les entrées Droit d’auteur et Contexte numérique, pour se faire une idée plus ample des enjeux de cette loi.
Certes, S. Eyrolles nous propose un panorama synthétique sur de nombreux points en corrigeant parfois fort opportunément certains clichés : « Un ouvrage compact de petite taille n’est pas forcément un livre dit au format poche : les critères économiques et juridiques, concernant le type de droits engagés, priment sur le format proprement dit. »
Certes, il donne de nombreuses données chiffrées – en oubliant parfois d’en citer les sources.
Mais on peut regretter que son tour d’horizon se restreigne à la France, voire à la région parisienne : à le lire, on pourrait croire qu’il n’existe aucune formation aux métiers de l’édition en province. Seule exception à cet hexagonisme exacerbé, la citation d’une étude sur l’importance de la lecture faite en novembre 2007 par le National Endowment for the Arts.
Enfin et surtout, les articles, rédigés d’une plume volontairement distante et neutre, se veulent purement descriptifs et manquent pourtant d’objectivité. Soit ils contiennent en fait des jugements de valeur, parfois discutables : que penseront les correcteurs de cette phrase, « 82 % des correcteurs salariés actuels dans la profession ont le statut d’employés, un certain nombre autodidactes ; la tendance est au relèvement de la culture générale » ? Soit ils révèlent les partis pris de leur auteur dans des débats dont les termes auraient mérité une plus longue exposition : ainsi de sa vision des bibliothèques, présentées sous l’unique angle de la recherche d’une nécessaire compensation, de la directive européenne qualifiée de « cadre juridique approprié pour que les éditeurs puissent développer une offre diversifiée et pérenne de contenus numériques », de la concentration (au passage, nous apprenons que l’édition est un « oligopole à franges ») dont il écrit « qu’elle ne semble pas peser sur la diversité de la production éditoriale », en argumentant que « l’activité éditoriale en amont, créative et intellectuelle, obéit par essence à une logique “artisanale” qui ne peut être standardisée ».
Enfin, l’absence de toute bibliographie ne permet pas au lecteur curieux d’aller chercher ailleurs des informations complémentaires.
La vérité factuelle de l’édition
Le propos de Bertrand Legendre, universitaire, spécialiste de l’édition et auteur de plusieurs livres sur ce sujet, est d’inciter le lecteur, en trois grandes parties (les auteurs, le milieu de l’édition et le circuit du livre) à interroger les idées reçues telles que : « Il est plus facile d’être publié chez un petit éditeur », « Le numérique va tuer le livre » ou « Les livres sont trop chers ». Plus pédagogique que celui de S. Eyrolles, plus argumenté aussi, son livre comporte une bibliographie succincte (cinq pages) mais parfaitement utile (et utilisable) ainsi que des encarts, parfois basiques, mais apportant souvent un éclairage nouveau, tel celui sur « Les nouveaux éditeurs de la critique sociale » ou celui sur « Le prix unique dans le monde » qui nous apprend que le Danemark le pratique depuis 1837 et que le Royaume-Uni l’avait mis en place en 1900 !
Il n’hésite pas à revisiter les fondamentaux au passage (la différence entre distribution et diffusion) et à poser une définition, « l’éditeur est donc celui qui, pour un projet, permet l’articulation du contenu, du droit, de la technique, du budget et du commerce », avant de la nuancer : « […] de l’ensemble de ces éléments mêlés aux données factuelles, se dégagent des postures, plus ou moins conscientes, par lesquelles l’éditeur se positionne entre l’artiste et l’intellectuel purs et le professionnel responsable d’entreprise ».
Car le projet de B. Legendre est de traquer, à travers les postures et les représentations, la vérité factuelle de l’édition, « construction sociale dont les dimensions symboliques affectent la perception et les discours qu’elle suscite ».
C’est ainsi qu’il démolit, dans un raisonnement d’une implacable rigueur, l’idée que le livre serait « un objet de conception artisanale ». C’est ainsi, rappelant que les logiques capitalistiques se développent dans l’édition depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, qu’il conclut, après avoir donné des chiffres – et cité ses sources –, que « l’édition [...] au moins dans le cas des grands groupes […] génère, parmi les industries culturelles, après la chaîne de télévision TF1, une des plus fortes rentabilités ».
Il s’efforce de nuancer, de préciser et d’approfondir systématiquement les questions abordées, en cherchant des clefs de compréhension via des études économiques, historiques et sociologiques. Il étaie ses raisonnements sur de nombreuses données chiffrées, même s’il prévient parfois le lecteur : « Ces chiffres font l’objet de réserves et de précautions nombreuses, liées pour une large part à la stratégie du secret adoptée par les principaux acteurs du commerce en ligne. » Et, s’il lui arrive de se montrer provocateur – « On ne parle pas facilement d’argent dans le monde des lettres, mais on y pense beaucoup » –, on lui pardonne, tant il nous apporte un éclairage intelligent et original. La lecture de cet ouvrage, loin d’être réservée aux seuls étudiants de la filière Métiers du livre, ne saurait être trop recommandée aux collègues en poste pour mettre à jour leurs connaissances et, qui sait ? réviser parfois leurs préjugés.