Les presses enfantines chrétiennes au XXe siècle

par Cécile Boulaire
Sous la direction de Thierry Crépin et Françoise Hache-Bissette
Arras, Artois Presses Université, 2008, 258 p., 24 cm
Coll. Études littéraires, série Enfances, ISSN 1275-3114
ISBN 978-2-84-83-2083-0 : 22 €

Cet ouvrage rassemble seize contributions prononcées lors d’un colloque organisé par le Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines de l’université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines en décembre 2004 à Arras. Organisé en cinq parties, le recueil pêche un peu par les redites. En effet, par-delà les études monographiques très documentées qui le composent, des thématiques, des périodisations, des figures d’auteurs ou d’éditeurs réapparaissent à plusieurs reprises, et il aurait été intéressant de regrouper les communications qui leur sont consacrées.

L’un des fils conducteurs de cet ensemble serait ainsi La Semaine de Suzette, dont Jean-Yves Mollier rappelle la création, en 1905, au sein de la maison que Gautier, bientôt associé à son neveu Languereau, a rachetée au fondateur des Veillées des chaumières (1877). C’est là que paraît la célèbre Bécassine de 1913 à 1939, mais aussi les romans de Delly, Maryan, Berthe Bernage. Pensé en termes de contre-offensive chrétienne à la laïcisation de la société, le journal sait s’adapter à une société où les loisirs prennent une place plus importante. Francis Marcoin évoque à son tour la Semaine de Suzette, dans une comparaison avec la Revue Mame (lancée en 1894) et ses romans « rustiques », et avec le périodique des Assomptionnistes de la Bonne Presse, Le Noël, plus dogmatique. L’« esprit gentiment moqueur » de Tante Jacqueline dans La Semaine de Suzette, peut ainsi rivaliser avec les Pieds Nickelés des frères Offenstadt. À son tour, Manon Pignot se livre à une très intéressante comparaison de La Semaine de Suzette et de Fillette, des frères Offenstadt. Similaires par bien des aspects, les deux journaux témoignent d’une concurrence en termes d’engagement patriotique qui révèle la lutte que doivent mener les frères Offenstadt pour contrer les préjugés antisémites et xénophobes. Enfin Catherine d’Humières propose un regard sur les vies de saints publiés dans Suzette au cours des années 1930.

Une modernisation problématique

C’est un autre hebdomadaire pour fillettes qu’analyse Sylvette Giet, sous l’angle d’une « modernisation » problématique à la fin des années 1930. Dans un article passionnant, elle montre que, sous l’influence de modèles formels américains qui s’imposent dans la presse féminine à la mode (Marie-Claire), le journal Lisette tente, de 1937 à 1939, une série d’innovations de mise en page. Pourtant, ni le contenu, ni le fonctionnement même des récits illustrés au sein du journal ne sont profondément modifiés par ces aménagements de surface.

Le journal Cœurs vaillants, dont c’était le 75e anniversaire, est l’un des autres pôles de cette publication. Thierry Crépin évoque Robert Rigot, l’illustrateur « maison » au graphisme un peu raide, dont l’action propagandiste pétainiste l’amène à créer une bande dessinée ouvertement antisémite, La cité perdue. Michel Renouart, qui s’intéresse à la figure de l’étranger dans Cœurs vaillants après guerre, revient sur Rigot et trois autres illustrateurs, Frédéric-Antonin Breysse, Noël Gloesner et Pierre Brochard. Il montre comment le ton édifiant s’atténue progressivement au cours des années 1960 ; et combien les personnages d’étrangers cessent d’être systématiquement étranges, hostiles ou ridicules.

Troisième pôle éditorial : la maison Bayard, issue de la Bonne Presse. Francis Marcoin l’évoque à travers Le Noël, et Michèle Piquard en propose un très rigoureux historique qui en analyse la montée en puissance depuis les années 1960. Marie Garnier aborde le magazine Pomme d’Api avec une documentation passionnante (entretiens) mais parfois peu de recul.

Apologie

L’axe de la fonction apologétique de la presse chrétienne réunit l’ensemble des autres contributions. Rita Ghesquière retrace l’histoire de la maison belge d’Averbode, fondée en 1877 dans l’élan du réveil catholique, et qui publie des magazines catholiques pour la jeunesse dès les années 1920, dans le contexte de la Croisade eucharistique. Luc Courtois propose un recensement très impressionnant des périodiques chrétiens belges, laissant apparaître tous les pans de l’histoire de l’édition pour la jeunesse qui restent encore à explorer. Les protestants, suisses ou français, ne sont pas en reste, comme en témoignent Pierre-Yves Kirschleger évoquant L’Abeille, Jean-François Zorn avec Le Petit Messager des missions évangéliques, Josiane Cetlin avec Notre Journal. Chaque fois émerge la question de la laïcisation de la société, autour des deux scansions de 1905 et 1962 ; et celle de la manifestation sous une forme plaisante d’un message religieux, traitée notamment de manière très convaincante dans deux articles consacrés à des illustrateurs : celui de Philippe Rocher s’interrogeant sur les convictions religieuses d’Hergé et celui de Christian Guérin montrant comment Pierre Joubert, illustrateur phare du mouvement scout, a contribué à en construire l’identité, en élaborant un modèle visuel condensant les vertus scoutes auxquelles il croyait depuis sa propre jeunesse.

L’ensemble, malgré les maladresses de composition, présente un tableau très fourni, et invite à étudier de plus près la presse enfantine.