Aperçu du Salon international de l’édition et du livre de Casablanca 2009
Odile Belkeddar
Le 15e Salon international de l’édition et du livre de Casablanca s’est tenu du 13 au 22 février 2009 à proximité de la très grande mosquée face à l’océan et du complexe culturel Hassan-II incluant une grande médiathèque tous publics et un centre d’art.
Les Trois Ourses
L’association des Trois Ourses 1 était invitée à présenter ses livres pour enfants, livres artistiques repérés à travers le monde, et en particulier ses livres tactiles à l’intention des enfants, voyants et non-voyants : le livre-phare aura été Ali ou Léo ? 2, qui comporte une double lecture – en texte imprimé et en braille mais aussi des traces de petits objets en relief qui permettent à tout un chacun d’explorer le contenu des poches d’Ali et Léo – et qui fait appel à l’imagination du lecteur. Ce livre a été lu sur le stand des Trois Ourses par plusieurs enfants et adultes aveugles, qui ont fait bénéficier de leur lecture tactile un public plus vaste (famille des enfants et passants-visiteurs, fortement impressionnés par la concentration et la lecture à voix haute de ces lecteurs devant ces auditoires improvisés). Les échanges autour de ce livre ont confirmé la nécessité de faire traduire en arabe et en braille cet ouvrage, malheureusement déjà épuisé en français.
D’autres livres ont suscité une grande curiosité de la part du public adulte et enfant, dont celui de groupes venus avec leurs enseignants. Ainsi, les livres de Malika Doray Et moi dans tout ça ? ou Ce livre-là, l’ABC 3D de Marion Bataille, On dirait qu’il neige de Remy Charlip qui a recueilli les rires des auditeurs. Le livre exceptionnel de Katsumi Komagata, Petit arbre, d’où émerge à l’intersection de chaque page un arbre de papier à ses différents stades de développement, a été l’objet d’une admiration unanime.
De nombreuses personnes, d’horizons variés, artistes, enseignants des écoles publiques et privées (nombreuses au Maroc), conseillers pédagogiques, parents, éditeurs, responsables d’association (Amardev 3, Coup de chance, Amrec – Association marocaine de la recherche et de l’échange culture, Nabghi-Bladi...) ont interrogé les Trois Ourses sur leur activité d’éducation artistique à travers le livre. Un espace adjacent à la halle et réservé à des ateliers de pratique artistique pour les scolaires témoignait d’ailleurs de cet intérêt des organisateurs du salon, même si les activités proposées par des animateurs n’avaient pas la qualité de celles qu’auraient menées des illustrateurs ou artistes.
L’intérêt envers le développement de l’édition jeunesse s’est concrétisé par l’annonce d’un premier salon du livre de jeunesse organisé à Meknès en 2010 avec la collaboration de Marie-Annick Duhard et Medhi El Amrani de la médiathèque du Centre culturel français de cette ville.
Rencontres internationales et interlinguistiques
Plusieurs débats et rencontres étaient organisés avec des professionnels du livre comme Hanae Lrhoul (responsable de la bibliothèque universitaire Sekkat), Abderahim Ameur (médiathèque du complexe culturel de la mosquée Hassan-II 4 qui doit ouvrir prochainement ses portes), Amina Masnaoui (librairie Porte d’Anfa qui a acquis la plupart des ouvrages des Trois Ourses), Nouzha Tazi Bounouar (société de diffusion Sochepress), ainsi qu’avec des auteurs et (nombreuses) poétesses arabophones ou francophones du monde littéraire arabe comme Zeynab Laouedj et Maram Al Massri (venues cependant de Paris).
La revue Migrance, éditée par l’association Génériques 5 située à Paris, qui œuvre pour la recherche sur l’histoire de l’immigration en France et en Europe et en montre les multiples apports culturels, était également représentée. La question de l’identité était posée par l’ouvrage Comment peut-on être Marocain ? 6, invitant dix auteurs à « penser ensemble et de façon créative » leur « marocanité ».
Le salon de Casablanca réunissait des représentations de plusieurs pays majoritairement arabophones, ce qui était l’occasion de rencontrer des éditeurs libanais, comme Nabil Nawfal, directeur de l’une des plus anciennes maisons d’édition libanaises, Dar Al Adab 7 à Beyrouth (« capitale mondiale du livre 2009 »), marocains comme Mohamed Belhaoua des éditions Tarik 8, ou égyptiens comme Mohieddine Ellabad 9, de Merit Publishing House 10, dont le fils Ahmed Ellabad, graphiste, conçoit les remarquables couvertures. À signaler aussi la présence de l’édition berbérophone en langue amazigh (en caractères latins ou amazigh), avec des livres pour enfants.
Le stand français
La France avait l’un des stands les plus visibles et avait invité, parmi les auteurs présents, le prix Goncourt 2008, Atiq Rahimi ; elle rendait également un hommage à Saint-Exupéry et à son Petit prince, traduit en arabe et en amazigh, (accompagné d’une exposition à Casablanca jusqu’au 13 mars), et proposait des débats sur le développement des bibliothèques au Maroc (avec notamment Patrick Bazin, directeur de la bibliothèque municipale de Lyon), la diffusion du livre francophone via l’AILF (Association internationale des libraires francophones) et le BIEF (Bureau international de l’édition française), ainsi qu’une approche économique de l’édition jeunesse avec des éditeurs français, marocains et africains.
Le Sénégal était le pays invité d’honneur et, parmi les dix éditeurs présents, Seydou Nourou Ndiaye, des éditions Papyrus Afrique (Dakar), présentait ses éditions en français mais également en plusieurs langues africaines afin de promouvoir une édition dans des langues rarement valorisées dans l’édition.
En conclusion, on peut souligner que si le prix des livres reste majoritairement un obstacle pour l’acheteur marocain, notamment pour l’important public familial se pressant en une très longue file, le désir de coédition et de diversification de l’édition semble un enjeu décisif reconnu par de nombreux acteurs des métiers du livre.
Une étude tout juste publiée en 2009 par les Publications du ministère de la Culture, Le secteur du livre au Maroc : état des lieux et perspectives 11, réalisée par Hassan El Ouazzani, poète, chercheur et professeur à l’École des sciences de l’information, aborde le secteur du livre dans tous ses aspects, des conditions de la création littéraire à l’élargissement des publics dans un contexte de fort analphabétisme et propose une ébauche de plan d’action pour son développement dans les années à venir. L’émerveillement visible et collectif des enfants devant les livres des Trois Ourses laisse à penser que la dimension artistique du livre a aussi toute sa place dans l’édition marocaine pour la jeunesse et sans doute même prioritairement auprès d’enfants éloignés de la pratique individuelle de la lecture.