Le prêt entre bibliothèques et la fourniture de documents

Éclairages internationaux

Olivier Caudron

Les questions liées au prêt entre bibliothèques (PEB) étaient à l’ordre du jour en décembre 2008 : dans le temps même où les bibliothèques membres du réseau étaient invitées à se prononcer sur le projet de facturation nationale du PEB proposé par l’Abes (Agence bibliographique de l’enseignement supérieur) et l’Aura (Association du réseau des établissements utilisateurs de l’Abes) réunies, était organisée le 17 décembre à l’université Paris-7, par la même Aura, une journée d’étude sur « Le prêt entre bibliothèques et la fourniture de documents : éclairages internationaux  1 ».

Cette double actualité faisait notamment suite à l’étude réalisée en 2006 par le cabinet Six(&)Dix sur commande de l’Aura, La carte documentaire, le PEB et la fourniture de documents à distance  2; puis au groupe de travail réuni par l’Aura sur la question de la facturation.

Différents modèles d’organisation nationale du PEB

Alors que les deux autres principaux volets du dossier PEB, l’organisation nationale du réseau documentaire et le mode de fourniture des documents, demeurent à débattre, comme le rappelait Anne Dujol (secrétaire de l’Aura) en introduction, la journée d’étude (qui regroupait quelque 150 participants) a permis d’entendre quatre collègues étrangers évoquer leur situation nationale : Giuliana Sgambati de l’ICCU – Istituto centrale per il catalogo unico delle bibliotheche italiane e per le informazioni bibliografiche (Rome) –, Jan Corthouts (bibliothèque de l’université d’Anvers), Dominique Coulombe de la Brown University Library (États-Unis) et Line Guérin, chef du service du PEB à l’université de Montréal.

Le positionnement des intervenants était varié puisque G. Sgambati travaille pour le réseau national italien impliquant plus de 3 500 bibliothèques de tous statuts (catalogue collectif SBN – Servizio bibliotecario nazionale –, auquel s’articule le service de PEB dénommé ILL-SBN), tandis que J. Corthouts et L. Guérin ont évoqué les réseaux de prêt dans lesquels s’intègrent leurs établissements, quitte, dans le cas d’Anvers, à avoir suscité la constitution de ce réseau grâce au développement dès 1991 de l’application web Impala, système de commande de documents s’appuyant sur plusieurs catalogues collectifs belges. D. Coulombe, de son côté, partait du fonctionnement du PEB dans son établissement, qu’elle considère assez typique des bibliothèques universitaires américaines, en élargissant progressivement la perspective à l’échelle des réseaux.

Les questions qui préoccupent les bibliothécaires français ont naturellement été évoquées au fil des exposés. Si les organisations nationales présentées fonctionnent toutes selon un modèle réparti, Italie et Belgique se signalent par leur ouverture aux bibliothèques publiques, tandis que le Canada impressionne par l’entente passée en janvier 2008, pour la réciprocité des services PEB, entre les quatre grands consortiums de bibliothèques universitaires du pays, dont celles du Crepuq (Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec). Tout étudiant canadien peut du reste emprunter dans toute bibliothèque universitaire et restituer dans toute autre.

La tarification entre bibliothèques italiennes n’est pas harmonisée, regrette G. Sgambati, alors qu’elle est en passe de l’être en Belgique. Au Canada, le prêt de monographies est gratuit et la copie d’article coûte 5 $ canadiens, soit un peu plus de 3 € (chaque établissement demeure par ailleurs libre de fixer le coût répercuté sur l’usager). Des mesures compensatoires existent au bénéfice des « gros prêteurs ». La poste canadienne consent un prix très réduit pour l’envoi des livres du PEB, qui voyagent dans des pochettes en plastique conçues par Line Guérin. Au Québec et en Ontario, des navettes circulent entre les bibliothèques universitaires.

À Brown University, le PEB est, totalement ou presque, gratuit pour les usagers, sachant cependant que l’inscription universitaire est très coûteuse. Les étudiants devant mener des recherches dès leur première année, le PEB leur est aussitôt ouvert. Le modèle PEB est étendu à la fourniture sur tout le campus des documents de la bibliothèque.

Impala établit des factures trimestrielles, avec compensation, entre bibliothèques belges ; le système s’autofinance grâce au versement par les bibliothèques de 0,54 € HT par transaction satisfaite. Au Canada, la facturation est semestrielle.

Fourniture électronique de documents

La fourniture électronique des articles existe, plus ou moins répandue, dans chaque pays représenté. Certaines bibliothèques italiennes la pratiquent, considérant que la reproduction numérique est implicitement incluse dans l’accord gouvernemental avec les éditeurs sur le droit d’auteur et la copie. En Belgique, la copie numérique est autorisée pour un usage privé, moyennant redevance. La législation canadienne sur le droit d’auteur inclut une exception pour les bibliothèques : l’usager ne peut cependant disposer du fichier numérique envoyé mais uniquement l’imprimer. Le lecteur américain doit utiliser les copies numériques selon le fair use (usage autorisé pour la recherche…) et ne peut demander la fourniture de plus de cinq articles par tranche de cinq années d’un périodique. Brown university utilise le service « Rapid » d’Illiad (OCLC) pour obtenir un article de périodique en moins de 24 heures, et en moins de 5 heures pour deux millions d’articles déjà numérisés car dans le domaine public ; le fichier PDF de l’article demeure disponible pendant 30 jours sur le serveur d’Illiad. L’application Ariel est notamment utilisée depuis 2000 pour la fourniture de fichiers numériques par la totalité des BU canadiennes.

Les intervenants ne pouvaient manquer de s’interroger in fine sur les perspectives statistiques du PEB, eu égard aux périodiques électroniques, aux archives ouvertes, à la numérisation par Google, mais aussi à la place que pourrait prendre le secteur commercial dans la fourniture de documents. J. Corthouts signalait cependant la hausse des transactions de monographies en Belgique, en raison de la dépendance des sciences humaines et sociales envers le livre mais aussi du poids des bibliothèques publiques dans le réseau utilisateur d’Impala.

Si Brown University envisage d’élargir le PEB aux livres numériques, les Canadiens ont franchi le pas dès 2007 en acquérant massivement des livres électroniques sous « licence dorée », plus chère mais autorisant le prêt.

Au total donc, une journée stimulante et qui devrait favoriser la réflexion sur les questions qui se posent au réseau français. Dans sa conclusion, Christine Girard, présidente de l’Aura, soulignait que la France n’avait pas à être complexée et qu’il importait avant tout de maintenir la culture de réseau. Le groupe de travail animé par l’Aura continuera de se réunir. Parmi les questions posées, C. Girard a notamment souligné la prise en compte des droits dans la fourniture électronique et relevé l’inégalité sur ce plan entre la France et d’autres pays, notamment anglo-saxons ; et évoqué la place que pourraient prendre les bibliothèques municipales dans le réseau du PEB.