BMVR, où en est-on ?

Nicolas Galaud

Une table ronde consacrée aux bibliothèques municipales à vocation régionale (BMVR) était proposée par l’Enssib. À l’heure où l’État culturel redéfinit ses modalités d’action, où l’organisation territoriale de la France est l’objet de nombreux débats et où les questions d’intercommunalité, de coopération et de réseaux sont plus que jamais au cœur de nos préoccupations professionnelles, il pouvait sembler intéressant de revenir sur le programme des BMVR, qui a marqué, par son ambition et ses résultats, l’histoire récente des bibliothèques françaises.

« L’effet BMVR »

Yves Desrichard, animateur de la table ronde, a évoqué en introduction les origines juridiques du dispositif, sa limitation dans le temps (les dossiers -devaient être déposés auprès de l’État avant le 31 décembre 1997), les critères d’éligibilité assez peu contraignants qui devaient être respectés et les effets obtenus, incontestablement positifs, nés d’une volonté politique conjointe de l’État et des collectivités territoriales  1.

Loin de produire des résultats uniformes, le programme des BMVR a donné naissance à des équipements très divers par leur taille, leur architecture, leur organisation ou leurs services. Il a permis de débloquer utilement certaines situations (comme à Marseille). Il n’est cependant pas exempt de critiques. La présence de trois BMVR dans une même région, Champagne-Ardenne, qui ne représente que 5 % de la population française, au-delà de l’effet d’aubaine, ne peut-elle pas apparaître comme un dévoiement de la procédure ? Yves Desrichard a rappelé également ce jugement tranché formulé par Claudine Belayche et Hugues Van Besien  2 : « Il s’agit d’une catégorie d’aide à l’investissement et non d’une catégorie d’équipement définie par des missions spécifiques, des dispositions de contrôle ou un statut particuliers, comme le sont par exemple les bibliothèques municipales classées. Sous tous les rapports, une BMVR une fois construite est une bibliothèque municipale, éventuellement classée, qui n’a pas de statut particulier. »

Vocation régionale ou intérêt national ?

Trois directeurs de BMVR, Marine Bedel (Rennes), Michel Marion (Orléans) et Gilles Gudin de Vallerin (Montpellier) étaient ensuite invités à présenter leurs équipements respectifs et à apporter des précisions sur leur vocation régionale.

La BMVR de Rennes, la dernière construite, a la particularité de faire partie d’un équipement pluriel, Les Champs libres, qui regroupe également le musée de Bretagne et un espace des sciences. L’ensemble, conçu au départ dans un cadre municipal, a été transféré en cours de projet à la communauté d’agglomération, les bibliothèques de quartiers rennaises et celles des autres communes de Rennes métropole restant sous gestion municipale. Marine Bedel voit dans cette situation a priori complexe un avantage : la répartition des moyens entre la ville et l’agglomération oblige à avoir un projet culturel à la fois pour les équipements de proximité et pour l’équipement métropolitain, qui partagent cependant le même système informatique et la même directrice. À Montpellier, la BMVR a également été conçue et réalisée par la Ville, puis transférée à l’agglomération en 2003 après sa construction. Un plan de développement ambitieux a été mis en œuvre au seul échelon intercommunal, prévoyant la construction de huit bibliothèques et la rénovation de deux autres équipements. À Orléans, première BMVR mise en service, les magasins seront saturés dans un an. Un projet de réorganisation des espaces est à l’étude. La perte de 1 000 m2 par rapport au projet initial à la suite d’un recours des riverains en conseil d’État se fait cruellement sentir aujourd’hui. Malgré des budgets contraints et la suppression de douze postes en 2003, la bibliothèque a conservé son attractivité auprès du public.

Ici comme ailleurs, c’est essentiellement autour du patrimoine que s’incarne la vocation régionale : une convention a été passée avec l’État en 2006. Des subventions de la direction régionale des affaires culturelles permettent l’organisation de formations, des interventions techniques ont lieu auprès d’autres bibliothèques de la région sur des questions patrimoniales ou de conservation. À Rennes, un catalogue collectif régional des fonds patrimoniaux a été mis en œuvre avec le soutien de la Drac et de la Région. À Montpellier, la numérisation des collections patrimoniales a été engagée. Une convention a été passée avec le Cirdoc (Centre interrégional de développement de l’occitan, installé à Béziers) autour de la langue occitane. Le développement des donations figure parmi les priorités actuelles, la bibliothèque devant selon son directeur porter une attention soutenue au patrimoine de son époque.

Tous les intervenants s’accordent à penser que, plutôt que de vocation régionale, il faudrait parler d’intérêt national pour les BMVR : les fonds patrimoniaux qu’elles conservent attirent des chercheurs bien au-delà de la région ; les partenariats nationaux sont plus particulièrement développés (ainsi, Orléans, Rennes et Montpellier reçoivent le dépôt légal imprimeur et sont à ce titre pôles associés de la BnF).

Gilles Gudin de Vallerin a souligné que la bibliothèque de Montpellier est tout à la fois bibliothèque municipale classée, depuis 1897, bibliothèque intercommunale, bibliothèque de quartiers, bibliothèque pour la jeunesse, pôle associé de la BnF, partenaire de la BPI, partenaire du département de l’Hérault à travers une convention de coopération renouvelée depuis 1999, et par ailleurs BMVR. Cette longue énumération traduit la grande variété des missions, parfois contradictoires, de la bibliothèque, mais aussi toute la richesse de son fonctionnement et l’intérêt du travail dans un tel établissement. Pour lui, au-delà des aspects institutionnels, la coopération est d’abord une question d’état d’esprit et de nécessité. Les professionnels doivent agir ensemble et additionner leurs moyens, d’autant plus qu’ils se raréfient.

Quelles leçons pour l’avenir ?

Le programme des BMVR étant limité dans le temps, toutes les collectivités potentiellement concernées n’ont pas pu ou pas su en bénéficier. Une seconde fraction, très proche de l’ancienne troisième part, a été instituée en 2006 lors de la réforme du concours particulier pour soutenir des opérations présentant « un intérêt régional ou national » et permettant « le développement d’actions de coopération avec les différents organismes en charge du livre et de la lecture  3 », qu’elles soient conduites par des communes, des EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) ou des départements.

Si le concept de BMVR se réduit en définitive à un oxymore, faute de définition réglementaire plus précise (mais est-elle souhaitable ?) ou de financements spécifiques pour les missions régionales, de nombreuses leçons peuvent cependant être tirées des actes de nos douze apôtres de la lecture publique : l’absence de modèle préétabli, la qualité architecturale comme ambition, l’intérêt de renforcer la desserte de proximité parallèlement à la réalisation d’un équipement central, les enjeux croissants liés aux questions intercommunales ou encore la nécessité toujours plus forte de la coopération à tous les échelons possibles. Les projets en cours ou à venir (Strasbourg, Pau, Caen, Brest, département de l’Hérault…) pourront s’en nourrir utilement.

  1. (retour)↑   Douze BMVR représentant 150 000 m2 de planchers ont été mises en service entre 1994 et 2006, par ordre chronologique à Orléans, Poitiers, La Rochelle, Limoges, Montpellier, Châlons-en-Champagne, Nice, Troyes, Reims, Marseille, Toulouse et Rennes.
  2. (retour)↑   Claudine Belayche, Hugues Van Besien, Les bibliothèques des collectivités territoriales : guide de gestion administrative et financière, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2004, p. 93-94.
  3. (retour)↑   Décret no 2006-1247 du 11 octobre 2006 portant réforme des concours particuliers de la DGD pour les BM et les BDP.