Facebook : Une communauté pour le livre ?
Florence Bianchi
Créé il y cinq ans sous forme de réseau social fermé par des étudiants de Harvard, Facebook compte aujourd’hui 150 millions d’utilisateurs, dont 65 % se connectent quotidiennement. Le forum Livres Hebdo a invité deux écrivains, un bibliothécaire, un libraire et deux journalistes à s’interroger sur la possibilité de constituer, au sein de ce réseau, une communauté pour le livre.
Les deux écrivains présents ont souligné le côté convivial et interactif de Facebook pour dialoguer avec leurs lecteurs – « alors qu’avant il fallait passer par l’éditeur pour entrer en contact avec un écrivain » (Tatiana de Rosnay) –, « connaître [s]a tribu et l’informer » des dates des parutions, des salons ou du tour de France que fait Bernard Werber dans les Fnac – dans le même esprit de dialogue. Selon Tatiana de Rosnay, une vraie « communauté d’écrivains » s’est constituée sur Facebook.
La Bibliothèque publique d’information a également fait le choix de Facebook, dans la continuité logique d’une « recherche permanente de nouveaux moyens pour communiquer et permettre aux usagers et non-usagers d’accéder à ses services », ce qui suppose une « adaptation constante pour offrir un service public adéquat ». Mais la présence des bibliothèques françaises dans les réseaux sociaux en général et le micro-blogging en particulier n’en est qu’à ses balbutiements – une cinquantaine d’avatars de bibliothèques sur Facebook – largement devancées par les bibliothèques anglo-saxonnes – 319 bibliothèques américaines sur Twitter, 4 françaises – et par… leurs propres usagers : la page de la Bibliothèque nationale de France a été créée par ses utilisateurs et la BPI n’a pas fini de s’interroger sur cette éclosion spontanée de groupes Facebook qui veulent savoir « qui est Marcel », luttent « contre la queue » ou « passent leurs vacances à la BPI ».
Si Nicolas Jalageas reconnaît avoir l’impression que « pas grand-chose ne se dit » lors des chats avec les « amis » des Cahiers de Colette, les questions abordées sont très diverses et permettent « un prolongement de la convivialité » qui s’établit physiquement dans la librairie : il s’agit bien d’une « communauté, rassemblée autour du livre ».
Loin d’être « un ravi d’internet », David Abiker (France Info) observe les internautes « comme Bernard Werber les fourmis », notamment dans la « mise en scène de soi », la quête du « quart d’heure de célébrité » warholien et la « starification domestique » à l’œuvre sur Facebook. Pour cependant tenter de « sauver le soldat Facebook », il a tracé le profil, potentiellement poétique et autofictionnel, d’une jeune fille : Facebook pourrait-il être « un ersatz d’autofiction, voire un outil de création littéraire » ? Pas pour le moment, car même si « tout s’exhibe aujourd’hui, dans une grande exhibition dans laquelle il est difficile de séparer le bon grain de l’ivraie », le travail d’un écrivain – y compris celui de Christine Angot – se situe dans le souvenir et la réinterprétation du vécu : il y existe, à chaque fois, une « torsion par rapport au vécu », qui constitue un fossé entre la littérature et Facebook. Pour le moment. Difficile également d’envisager Facebook comme un lieu de création littéraire, en raison de sa volonté d’« attribution totalitaire des droits » (Daniel Garcia).
Karine Papillaud (20 Minutes, coauteur de Bienvenue sur Facebook ! 1) a confirmé que ce « besoin de logorrhée, d’exister dans la communauté », révélateur de « l’ère de l’écrit » dans laquelle nous sommes – qui s’est fortement manifestée au travers des blogs, phénomène qui se tasse – ne relève en rien de la littérature. Facebook est au fond « un média, de proximité, amical », un outil de micro-information entre le futile et l’utile, dans la mesure où « on choisit ce qu’on veut montrer de soi » et où, « à partir de 150 amis, on n’a pas d’amis : on entretient un réseau ».
Parmi les questions posées depuis la salle, on retiendra le désarroi de ces jeunes éditeurs indépendants qui ont créé le profil « institutionnel » de leur maison d’édition sur Facebook « car il faut y aller », mais avouent être « perdus » : quelles sont les limites entre le privé et le public, qui parle ? Désarroi d’autant plus compréhensible que Daniel Garcia a souligné la confusion des genres entre « amis », familiers et réseau professionnel sur Facebook, et Karine Papillaud et Bernard Werber témoigné de la facilité avec laquelle une identité numérique peut être usurpée.