Un rapport américain sur l’offre numérique dans les bibliothèques
quelques informations pour éclairer notre offre
L’American Library Association a récemment publié un rapport sur les accès à internet, son usage, les services offerts et leur financement dans les bibliothèques publiques des États-Unis, où elles sont les seuls lieux offrant un accès gratuit à internet. Ce rapport insiste sur la nécessité d’une offre de services accessibles adaptée et celle d’un accompagnement des usagers par le personnel de la bibliothèque. À la lumière de ces informations, n’est-il pas urgent, pour les bibliothèques publiques françaises, de se positionner plus fermement comme lieu d’accès et de formation à l’information numérique ?
The American Library Association recently published a report on internet access, use and services in public libraries in America, which are the only sites offering free internet access. It also looks at how the service is financed. The report underlines the necessity of offering appropriate services and levels of access and the need for library staff to assist users. It offers a model for public libraries in France, which urgently need to raise their profile as sites offering access and training in digital resources.
Die American Library Association hat soeben einen Bericht über Internetzugänge, Nutzung, angebotene Dienste und ihre Finanzierung in den öffentlichen Bibliotheken der Vereinigten Staaten, wo sie die einzigen Orte sind, die einen kostenlosen Internetzugang anbieten, veröffentlicht. Dieser Bericht betont die Notwendigkeit eines angepassten Angebots von zugänglichen Dienstleistungen und jener einer Benutzerbegleitung durch das Bibliothekspersonal. Wird es in Anbetracht dieser Informationen für die französischen Bibliotheken nicht Zeit, sich bestimmter als Zugangs- und Lernort der digitalen Information zu positionieren?
L’American Library Association acaba de publicar un informe sobre el acceso a internet, su uso, los servicios ofrecidos y su financiación en las bibliotecas públicas de los Estados Unidos, en donde éstas son los únicos lugares que ofrecen un acceso gratuito a internet. Este informe insiste en la necesidad de una oferta de servicios accesibles adaptada y la de un acompañamiento de los usuarios por parte del personal de la biblioteca. A la luz de estas informaciones, ¿no resulta urgente, para las bibliotecas francesas, posisionarse más firmemente como lugar de acceso y de formación a la información digital?
L’American Library Association a récemment publié un rapport 1 qui mérite une attention soutenue en ces temps de crise où l’on se rue, lit-on, dans les bibliothèques qui sont, outre-Atlantique, les seuls lieux offrant un accès gratuit à internet.
Une revue de la presse quotidienne américaine nous révèle les bons résultats de nombreuses bibliothèques qui font le plein d’usagers venus principalement utiliser les outils mis à leur disposition pour chercher du travail, rédiger un curriculum vitæ, consulter des annonces, parcourir les annuaires d’entreprises, avoir accès aux services administratifs dématérialisés, notamment à ceux qui sont spécifiquement destinés aux demandeurs d’emploi…
En clair, ces usagers (pas forcément emprunteurs) viennent utiliser les ordinateurs et l’accès internet haut débit qu’offre la bibliothèque et solliciter les professionnels pour leurs compétences variées : recherche en ligne, maîtrise des outils bureautiques et connaissance de l’administration électronique. Le bibliothécaire devenant un peu le passeur qui permet la navigation fluide dans un monde dématérialisé, où les usagers dont la culture informatique est insuffisante craignent de se noyer. On comprend que le Wall Street Journal ait titré sur le stress des équipes à qui l’on demande de plus en plus alors qu’elles subissent les effets des restrictions budgétaires, comme le montre la figure 1 illustrant l’écart croissant entre le nombre d’agents dans les bibliothèques et le nombre d’ordinateurs… Une des tâches citées comme la plus stressante pour ces agents étant la gestion manuelle des durées limites d’utilisation des PC, nécessaire dans 46 % des bibliothèques qui pratiquent la technique de la « tape-sur-l’épaule ».
Pour le seul mois de janvier 2009, on trouvait les articles suivants qui citaient de nombreux cas d’usagers au chômage venant emprunter des DVD ou chercher du travail en bibliothèque, sans parler de ce jeune homme assis un soir contre le mur de la bibliothèque fermée, son portable sur les genoux, profitant à travers les cloisons de l’accès wi-fi :
- « Les gens affluent à la bibliothèque, un endroit confortable pour chercher du travail : les livres, les ordinateurs et la wi-fi sont gratuits, mais les agents sont sous pression à cause de la foule et des compressions de personnel », dans le Wall Street Journal du 15 janvier 2.
- « En pleine crise économique, un service demeure gratuit », dans le Nobles County Review du 17 janvier 3.
- « Marchés en baisse, bibliothèques en hausse : le public se tourne de plus en plus vers les bibliothèques », dans l’Iowa City Press Citizen du 10 janvier 4.
- « Le boom de la bibliothèque dans une économie en berne », sur la WHAG-TV, le 22 janvier.
- « Les nombreux avantages des bibliothèques redécouverts dans une période économique difficile », dans le Milwaukee Journal Sentinel du 22 janvier 5.
Le rapport de l’ALA, cofinancé par l’association et la fondation Bill et Melinda Gates concerne la période 2007-2008. Une enquête a été menée auprès de 6 984 bibliothèques publiques (5 488 réponses retournées) sur les accès à internet, son usage, les services offerts, leur financement. Les données nationales sont compilées par taille d’agglomération et niveau de revenu moyen des usagers desservis ; des monographies sont ensuite fournies pour chaque État. Enfin, on trouve les résultats de focus groups et de visites menées dans trente bibliothèques ou réseaux de quatre États : New York, Caroline du Nord, Pennsylvanie et Virginie.
Une des forces du rapport est de rappeler que la diffusion massive des technologies de l’information dans les bibliothèques ne doit pas s’accompagner d’une moindre attention de la part des professionnels. Rien n’est acquis et les usagers sont loin d’être devenus tous autonomes et compétents ! L’introduction de services de plus en plus sophistiqués nécessite justement un accompagnement de plus en plus étroit de la part de l’institution de façon à garantir à la fois la disponibilité des services proposés (la plus grande part des bibliothèques enquêtées ne dispose pas de technicien spécialisé 6 pour la maintenance du parc, mais certaines préfèrent se débrouiller seules afin d’éviter les clashs avec les techniciens des services informatiques trop soucieux de sécuriser les accès et les données), leur pérennité et leur accessibilité au plus grand nombre et tout particulièrement à ceux qui ne sont pas équipés à la maison et ne maîtrisent pas les principes de la navigation.
De ce côté-ci de l’Atlantique, on peut douter que la fracture numérique soit beaucoup moins grande. Rappelons que, d’après le dernier rapport du Crédoc sur La diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française (2008) 7, si, en 2008, 92 % des 12-17 ans étaient équipés d’un micro-ordinateur, cela ne concernait que 45 % des 60-69 ans et 17 % des plus de 70 ans ; 95 % des foyers dont les revenus mensuels étaient supérieurs à 3 100 €, mais 43 % de ceux dont les revenus sont inférieurs à 900 € et, enfin, 91 % des personnes titulaires d’un diplôme du supérieur et 33 % ayant un CAP ou ne détenant aucun diplôme… Pour caricaturer, on pourrait se demander combien de ces vieilles dames (les femmes sont équipées à 67 % contre 72 % pour les hommes), non diplômées, pauvres, sans ordinateur à la maison accueille-t-on dans nos bibliothèques qui sont bien souvent les seuls espaces publics numériques de nos communes ? Le même rapport nous apprend que seules 11 % des personnes interrogées dans l’enquête se sont connectées à internet dans un lieu public (cybercafé, bibliothèque, bureau de poste ou autres) et que cette pratique concerne principalement les jeunes et les diplômés. On assiste donc à cet effet souvent décrit de pratiques qui se cumulent plutôt qu’elles ne s’excluent. Ainsi ce ne sont pas forcément ceux qui ne disposent pas d’accès privé qui utilisent les accès offerts dans les lieux publics et les bibliothèques, mais plutôt ceux qui disposent d’un équipement chez eux et en maîtrisent l’usage.
Mais revenons à notre rapport américain. Les principales préoccupations des responsables d’établissements interrogés concernent le nombre d’agents pouvant aider les usagers et la mise à jour de leurs qualifications techniques ou informationnelles. Ces préoccupations touchent principalement les responsables de bibliothèques rurales qui ont vu le nombre d’ordinateurs proposés dans leurs murs exploser (+ 97,9 % entre 2000 et 2005 dans les communes de moins de mille habitants, alors que le personnel diminuait de 2,9 %). Dans ces bibliothèques, le personnel est formé principalement « sur le tas » et l’organisation de ces sessions d’échanges de pratiques est particulièrement difficile dans des établissements qui emploient de nombreux agents à temps partiel, pour qui des plages de formation communes sont quasiment impossibles à trouver.
Les rapporteurs notent une baisse des budgets consacrés au personnel et aux collections au bénéfice de dépenses variées dans lesquelles s’inscrivent les dépenses liées à l’implantation des technologies de l’information et de la documentation (TIC), qui s’expliquent en partie par les chiffres suivants.
- 73 % des bibliothèques publiques américaines sont les seuls lieux publics d’accès gratuit à internet pour le public qu’elles desservent.
- 73,4 % des bibliothèques américaines offrent des formations aux TIC (en plus du support individuel que les bibliothécaires offrent ponctuellement aux usagers).
- L’enquête signale que les demandes les plus pressantes exprimées par les usagers concernent l’aide à la recherche d’emploi et l’accompagnement à la navigation sur les sites administratifs ayant mis en œuvre des procédures dématérialisées.
- Alors qu’on observait une augmentation de 86 % du nombre d’ordinateurs mis à disposition du public dans les bibliothèques, le nombre des visites a augmenté de 18,6 % passant de 1,15 milliard en 2000 à 1,36 milliard en 2005. L’augmentation du personnel en équivalent temps plein a augmenté de 6 % sur la même période.
- La limitation du nombre d’ordinateurs est imposée pour 78 % des répondants par des problèmes d’espace disponible et de vétusté des locaux, ne permettant pas de câblage supplémentaire, poussant certains établissements à favoriser une offre wi-fi (présente dans les deux tiers des établissements enquêtés), ce qui entraîne d’autres problèmes de formation du personnel. La difficulté qu’il y a à former le personnel étant une des raisons avancées (à 17 %) pour la conservation de matériels ou logiciels anciens, mais bien maîtrisés par le personnel. La durée moyenne avant le remplacement ou l’ajout de nouveaux ordinateurs est de quatre ans pour 37,6 % des bibliothèques urbaines.
- Bien que de plus en plus d’établissements offrent des connexions haut débit 8, la satisfaction des usagers est en baisse, car sa qualité est souvent dégradée par la surcharge qu’entraînent les connexions wi-fi et une explosion des volumes de données consultées. 57,5 % des répondants disent que le débit offert dans leur établissement est insuffisant de manière occasionnelle ou régulière.
- La figure 2 montre l’évolution des services offerts : les services associant du contenu sonore passant de 33 à 71 % de 2006 à 2008, ceux offrant des contenus vidéo passant de 16,6 % à 48,9 %, les e-books ont une avancée modérée, les services d’aide au devoir passent de 68,1 à 83,4 %, l’accès aux bases de données payantes, liées au monde des affaires ou aux loisirs, demeure le service en ligne le plus communément offert : il est disponible dans 98 % des bibliothèques urbaines et 80 % des bibliothèques rurales !
Compte tenu du rôle social des bibliothèques dont témoignent les observations de l’enquête, les rédacteurs du rapport plaident pour un financement plus important de la part du gouvernement fédéral qui, à l’heure actuelle, ne participe qu’à hauteur de 0,5 % à leur financement. Le rapport aborde en détail les problèmes propres au financement des bibliothèques américaines qui ont un fonctionnement complexe et bien différent de celui des bibliothèques françaises. Pour cette raison, ces informations ne sont pas reprises ici.
Par ailleurs, les directeurs d’établissements jonglent avec des budgets en baisse pour dégager des fonds suffisant au fonctionnement et au développement de cette offre technologique coûteuse. Cela se fait aux dépens des autres postes de dépenses et menace à terme la santé de ces établissements. Certaines bibliothèques ayant tout simplement mis la clé sous la porte 9.
À la lumière de ce rapport, il apparaît que les indicateurs font cruellement défaut chez nous pour mesurer précisément les conséquences de l’implantation des TIC en bibliothèque 10, son coût et les usages qui en sont faits. Il semblerait que les personnes qui utilisent les ordinateurs en bibliothèque sont précisément celles qui maîtrisent déjà l’outil et ses ressources. Qu’en est-il pour les autres ?
Quelles sont les conséquences de l’introduction de l’informatique et du multimédia pour les établissements en termes d’espace, de ressources humaines et de formation, de collections ? Finalement n’est-il pas nécessaire de clarifier la mission des établissements de lecture publique dans la réduction de la fracture numérique, qui est loin d’être comblée selon le rapport précédemment cité du Crédoc ?
Élément de réponse ? Le Plan de développement de l’économie numérique 11 présenté en octobre 2008 par Éric Besson, alors secrétaire d’État chargé de la prospective, de l’Évaluation des politiques publiques et du Développement de l’économie numérique, rappelait que :
« Plus de 4 000 lieux d’accès public accompagné à internet sont ouverts en France, avec, dans chacun, un ou plusieurs animateurs multimédias qui accompagne, initie, aide chacun à maîtriser et bien utiliser ces outils et services offerts par internet et plus largement par les technologies de l’information et de la communication.
Certains de ces espaces sont dédiés spécifiquement à l’initiation aux TIC, d’autres, implantés dans des institutions ou associations consacrées à une autre activité, proposent un accompagnement aux usages numériques dans le cadre de leur mission principale : recherche documentaire dans les bibliothèques, multimédia et création numérique dans les médiathèques, recherche d’emploi dans les maisons de l’emploi. »
La proposition qui suivait 12 ne mentionnait pourtant pas les bibliothèques, reléguées à la proposition 55 13 :
« Action no 55 : Améliorer les conditions d’accès, de diffusion et de conservation des contenus numériques à l’usage des bibliothèques publiques, dans le cadre de l’élaboration d’un Schéma numérique des bibliothèques par le Conseil du livre, à l’usage des bibliothèques publiques, en s’inspirant par exemple de l’initiative allemande de centralisation des plates-formes d’achat de contenus. »
Pour aller au-delà de cette proposition et se tourner d’abord vers le public et non les collections, n’est-il pas urgent que les bibliothèques se positionnent encore plus fermement comme lieu d’accès et de formation à l’information numérique, en ouvrant les accès ? Comme l’écrivait Dominique Lahary en 2000 à propos de la définition du mot multimédia 14 :
« Nous n’avons qu’une solution : l’entendre comme le public, sinon notre message devient inintelligible. »