Au Royaume-Uni, des rapports aussi

Yves Alix

De l’autre côté de la Manche, si la tradition administrative n’est évidemment pas la même qu’ici, il n’en est pas moins arrivé plusieurs fois, au cours des années récentes, que la situation des bibliothèques ou de la lecture suscite la commande d’un rapport officiel. Parmi ceux qui ont été diffusés depuis le début des années 80, trois ont été particulièrement médiatisés : le rapport Ratcliffe sur la conservation, le rapport Follett sur les bibliothèques universitaires, enfin le rapport Coates sur l’état des bibliothèques publiques.

Ratcliffe

Le rapport de F.W. Ratcliffe et D. Patterson, Preservation Policies and Conservation in British Libraries (Politiques de sauvegarde et conservation dans les bibliothèques britanniques), est le fruit du travail d’un groupe d’experts réuni par la bibliothèque de l’université de Cambridge en 1983. À l’égal des rapports français Caillet et Desgraves, qu’il suit de peu, le rapport Ratcliffe a révélé l’étendue des chantiers à mener dans toutes les bibliothèques patrimoniales du Royaume-Uni pour assurer le sauvetage des fonds les plus menacés et mettre en place des politiques de conservation durables. Il peut être considéré comme l’acte déclencheur de l’ensemble des actions menées depuis en ce sens, dont un des aboutissements, le centre de conservation de la British Library, inauguré en 2007, illustre l’ambition  1.

Follett

Non moins décisif, dans le secteur universitaire, a été le rapport Follett de 1993. Derek Law le présente ainsi : « L’exiguïté des équipements universitaires devenait […] si flagrante qu’en 1992, Sir Brian Follett fut nommé à la tête d’un comité chargé de réfléchir aux conséquences de l’expansion du système sur les bibliothèques, sur les conditions d’enseignement et sur la formation des étudiants. Très vite, le comité résolut de s’intéresser en priorité à la recherche, et notamment aux contraintes budgétaires imposées aux bibliothèques par la fantastique augmentation du prix des périodiques. Pour la première fois depuis trente ans, les bibliothèques allaient faire l’objet d’une enquête approfondie. Réparti en plusieurs sous-groupes, le comité se mit rapidement au travail et, dès la fin de 1993, il publia un rapport accompagné d’une longue liste de recommandations sur les actions à mener et les financements à prévoir, ainsi que de toute une série de documents de travail. Ce rapport fut bien reçu et un certain nombre des activités qu’il préconisait bénéficièrent d’un financement immédiat  2. » Quinze ans après, ce rapport et les travaux qui l’ont suivi apparaissent comme le point de départ des orientations mises en œuvre jusqu’à aujourd’hui, plus encore dans le domaine des technologies de l’information et du déploiement des ressources numériques qu’en ce qui concerne l’organisation et l’administration (guère moins complexe qu’ici…) du réseau des bibliothèques universitaires et de recherche.

Coates

Mais ces dernières années, le rapport le plus médiatisé a sans conteste été celui, délibérément provocateur, de Tim Coates, Who’s in Charge ? (« Qui est le responsable ? ») rendu public en 2004  3. Ancien libraire, Coates y dénonce ce qu’il appelle « la mauvaise gestion » des bibliothèques publiques. Malgré l’augmentation constante des budgets (25 % en cinq ans), le nombre d’inscrits et les prêts ne cessent de baisser (un tiers de prêts en moins en dix ans). Les raisons, selon lui ? La mauvaise qualité des collections, l’aspect déplorable des espaces publics, mal entretenus et peu accueillants, et plus encore la diversification et l’abandon progressif du livre. La part des budgets consacrés aux achats de livres ne cesse de diminuer, les bibliothèques deviennent peu à peu de pâles copies des grandes surfaces culturelles.

Dans un premier temps, le rapport n’a suscité de réactions que dans les milieux professionnels. Mais une enquête de la commission des affaires culturelles de la Chambre des Communes l’a propulsé sur le devant de la scène au printemps 2005, déclenchant une longue polémique dans les médias. Quatre ans après, la situation a largement évolué, mais le contexte économique et social est si défavorable que les constats de Coates et ses craintes conservent une bonne part de leur actualité. La presse peut saluer un jour des réussites incontestables comme les Idea Stores ou la bibliothèque du Millenium à Norwich, et déplorer le lendemain les fermetures par les communes d’établissements qu’elles ne peuvent plus financer (quinze bibliothèques fermées en 2007, plus de trente en 2008). Le projet People’s network a permis d’équiper toutes les bibliothèques d’accès publics à internet, mais le nombre d’inscrits continue de baisser et les prêts sont en chute libre. Les spécialistes pointent la baisse de la lecture, que des campagnes ambitieuses comme le National Year of Reading (Année nationale de la lecture) en 2008 ne parviennent pas à enrayer. Devant cette situation et les alarmes des professionnels, le secrétaire d’État à la Culture Andy Burnham  4 a commandé… un rapport, dont les conclusions sont attendues ce printemps.

 

À lire : Véronique Heurtematte, « Les bibliothèques britanniques : un modèle qui se remet en question », Lectures, no 160, mars-avril 2009, p. 29-36.

Lectures, revue des bibliothèques, est publié par le CLPCF, Centre de Lecture publique de la Communauté française de Belgique, Espace 27 septembre, bureau 1B-074, 44 boulevard Léopold II, B-1080 Bruxelles, tél. 32(0)2/413.22.36

Site : http://www.bibliotheques.be

Les rapports

– F.W. Ratcliffe, with the assistance of D. Patterson, Preservation Policies and Conservation in British Libraries : report of the Cambridge University Library Conservation Project, Wetherby, West Yorkshire, British Library, 1984.

– Joint Funding Councils’ Library Review Group, The Follett Report [rapport Follett sur les bibliothèques universitaires britanniques], Bristol, UK, Hefce, 1993.

– Tim Coates, Who’s in charge : Responsability for the Public Library Service, 2004.
En ligne sur le site Libri : http://www.goodlibraryguide.com/libri/WhoInCharge.pdf