Sages comme des images 2 : le retour !

Hervé Curtenaz

Chambéry et sa médiathèque avaient accueilli en 1996 la première édition de « Sages comme des images », journée de rencontre et d’étude organisée à l’initiative de VDL (Vidéothécaires et discothécaires de la région lyonnaise) qui proposait une réflexion autour du statut de l’image animée en lecture publique. On y avait essentiellement évoqué les différents supports alors en concurrence et les modalités de leur présence dans les bibliothèques, en abordant l’ensemble des problèmes techniques, juridiques et bibliothéconomiques récurrents.

C’est au Lux, scène nationale de Valence, et toujours à l’initiative de l’association VDL (rebaptisée il y a peu Association des professionnels de l’image et du son des médiathèques en Rhône-Alpes) et de son président Christian Massault que s’est retrouvée le 27 novembre 2008 pour une deuxième édition une centaine de professionnels de la région Rhône-Alpes. Dans la continuité des thèmes évoqués en 1996, tout en intégrant les évolutions intervenues en un peu plus d’une décennie, l’accent était mis tout particulièrement cette année sur les notions de contenu. En clair : quel avenir pour l’image animée dans les médiathèques d’aujourd’hui et surtout de demain ?

Qu’imaginer ?

L’ensemble de la journée était placé sous l’œil attentif de Michel Melot, ancien directeur de la Bibliothèque publique d’information, dont on connaît de longue date l’intérêt pour l’image et sa place dans le réseau des bibliothèques  *. Son intervention initiale eut essentiellement pour objet la (ré)affirmation de quelques idées-forces en la matière. Prenant sa revanche sur des siècles de défiance, l’image s’impose aujourd’hui avec d’autant plus de vigueur. Elle n’est pas docile, se prête à bien des interprétations et exige une pédagogie nouvelle. Elle s’invente des droits et des propriétaires, multipliant comme à plaisir les barrières autour d’elle. Les bibliothèques doivent impérativement aujourd’hui s’imposer comme espaces de liberté en matière de musique comme en matière d’image (quitte à frôler parfois le « pas-encore-tout-à-fait-légal » afin de favoriser des évolutions nécessaires) et assumer, sur place comme à distance grâce à l’outil internet, leur rôle fondamental de… fournisseur d’accès ! Ceci sans oublier naturellement la nécessité inchangée, sous des formes parfois nouvelles, de préserver des collections sans lesquelles toute ambition de partage serait vaine.

Une première table ronde fut l’occasion d’entendre les interventions de représentants de structures commerciales concernant l’état du marché et les évolutions en cours dans l’édition. Franck Gabriel (société CVS) fit état du marasme général régnant chez nombre d’éditeurs vidéo ainsi que de la durée de vie commerciale de plus en plus réduite de la majorité des productions, soulignant par là une difficulté majeure pour la constitution des collections. Rappelant également le rôle absolument vital que revêt pour certains « petits » éditeurs le « petit » marché de la lecture publique, auquel certains doivent tout simplement leur survie, il proposa en guise d’ouverture aux débats ultérieurs la question : qu’est-ce que nos/vos bibliothèques peuvent et veulent imaginer en matière -d’accès à l’image animée ?

Que craindre ?

Yves Desrichard (Enssib) sut maintenir avec humour l’attention parfois vacillante des participants de toute journée d’étude en début d’après-midi. Intitulée « À la rencontre du professionnel et du législateur », son intervention pouvait aussi se résumer en deux mots : que craindre ?… Le piratage ? Incontestablement, même si les formes qu’il revêt, ses cibles favorites, souvent bien éloignées de nos choix, et le flou (entretenu ?) sur les chiffres sont avant tout inquiétants par ce qu’ils traduisent de la réelle dévalorisation d’une image le plus souvent matériellement comme intellectuellement dégradée. L’espace public marchand ? L’œuvre cinématographique à proprement parler, fiction ou documentaire, se fait plus rare sur le petit écran ; les vidéoclubs disparaissent progressivement des rues commerçantes, et la commercialisation reste quasi intégralement l’apanage de la grande distribution et de la vente par correspondance, dont on connaît les priorités… La dématérialisation, quant à elle, ne concerne pas uniquement la diffusion des œuvres. Si le support argentique, plus stable sur la durée et moins facilement piratable, reste majoritairement utilisé pour la captation, l’emploi du numérique pour la projection est en réelle progression dans les salles françaises. La présumée disparition du support proprement dit, qui pose problème aux « collectionneurs » que nous sommes, doit nous inciter à développer une bibliothèque hybride à même de proposer conjointement du matériel et de l’immatériel, sur place comme à distance. Une logique d’accès (le streaming n’est-il pas une forme de consultation ?) et d’innovation (web participatif, offres liées et différentes…) s’attachant plus largement à l’environnement du film pourrait-elle contribuer à recréer un « désir de cinéma » ? Selon Yves Desrichard en tout cas, si les médiathèques ont su faire fonctionner jusqu’alors – et malgré de nombreuses difficultés – des services dédiés à l’image, aucun obstacle majeur ne devrait les en empêcher dans un avenir proche, pour peu qu’audace et inventivité soient de la partie !

Quel avenir pour l’image en bibliothèque ?

La table ronde suivante permit d’évoquer quelques expériences en cours dans la région : Thierry Maillot (Grenoble) et Laurence Marconnet (Villeurbanne) firent part de leurs avis respectifs concernant l’offre VOD (vidéo à la demande) d’Arte ou la consultation en ligne des documentaires de la BPI. Autre exemple de programmes disponibles en ligne : celui de la chaîne câblée Cap-Canal (Lyon/Grenoble) qui se propose de « faire de la télé autrement », particulièrement en direction du jeune public, et se veut un lieu d’éducation à l’image. Daniel Pelligra enfin, réalisateur, ethnologue et enseignant en anthropologie visuelle, rappela avec bonheur qu’il existe bel et bien des domaines inexplorés dont pourraient s’emparer avec profit les bibliothèques en matière de cinéma : constituer et communiquer des fonds (régionaux en particulier) ignorés du public, favoriser et valoriser les productions locales, autant d’opportunités de devenir des découvreurs…

Peut-être, comme le rappelèrent les interventions du public, sommes-nous en présence d’une évolution (ou devrait-on plutôt dire d’une mutation ?) plus difficile que les précédentes. Sans doute l’addition de regards extérieurs aisément critiques et de questionnements internes ne facilite-t-elle pas les choses. Et que dire de l’évolution – pour ne pas dire la disparition dans bien des cas – de formations professionnelles parfois réduites à leur plus simple expression ?

On peut se rassurer en répétant qu’il ne s’agit que de poursuivre la même mission de mise à disposition avec des moyens différents. Il n’en est pas moins vrai que l’importance du flux (d’images, entre autres…) rend plus aiguës les interrogations anciennes : comment donner accès, et à quoi ? que conserver ? comment classer ? Reste que le pire danger, unanimement reconnu, serait évidemment une bibliothèque devenue vide de sens (pas d’objectifs) et de contenu (pas de supports) !

Reprenant la parole pour une conclusion synthétique de la journée, Michel Melot fit un rapide recensement des principaux éléments sur lesquels devrait selon lui se fonder l’avenir de l’image dans nos établissements :

  • ne pas négliger les problématiques de conservation et de pérennité, que nous sommes souvent les seuls à envisager ;
  • ne pas céder à la psychose du piratage, et « occuper le terrain aux marges » afin d’obtenir la légalisation des pratiques que nous défendons ;
  • défendre le secteur non marchand sur internet, l’encourager et l’héberger éventuellement ; accueillir et favoriser la production régionale ou locale ;
  • suivre attentivement et utiliser au mieux les évolutions techniques autant que juridiques ;
  • s’attacher à vouloir préserver une forme possiblement (?) en voie de disparition : le cinéma !
  • ne pas céder à la tentation de faire des médiathèques des « grandes surfaces gratuites » : la réponse à la diminution des prêts, c’est la bibliothèque hybride, pas le supermarché culturel !

On peut rêver de la bibliothèque idéale, comme lieu et lien social, matériel et immatériel. Reste, conclut Michel Melot, que la question fondamentale n’est ni celle des moyens financiers ni celle de l’évolution des supports et des lois mais bien celle du contenu, c’est-à-dire celle du choix, essence du métier de bibliothécaire.