Traitement et pratiques documentaires : vers un changement de paradigme ?
Document numérique et société 2008
Agnès Cavet
Après Fribourg en 2006, la deuxième conférence internationale Document numérique et société 1 s’est tenue à Paris dans les locaux du Conservatoire national des arts et métiers les 17 et 18 novembre 2008. Organisée par Ghislaine Chartron (professeur titulaire de la chaire d’ingénierie documentaire du Cnam) et Évelyne Broudoux (maître de conférences en information-communication à l’IUT de Vélizy), cette manifestation a réuni environ 150 enseignants-chercheurs, étudiants et professionnels du document et de l’information autour du thème « Traitement et pratiques documentaires : vers un changement de paradigme ? ».
Saluons d’abord un beau travail éditorial réalisé en amont : la publication par les éditions de l’ADBS des actes de la conférence, sous la forme d’un ouvrage soigné dont les participants ont pu apprécier la qualité… et l’odeur d’encre fraîche 2.
Plutôt que de tenter la périlleuse synthèse d’un programme caractérisé par sa grande variété, limitons-nous à résumer quelques communications qui intéressent directement le domaine des bibliothèques 3.
Nicolas Bugnon et René Schneider (Haute école de gestion de Genève) ont réalisé une étude quantitative et qualitative sur les usages et usagers des trois principaux catalogues en ligne suisses. L’analyse des fichiers logs de 750 000 requêtes permet de reconstituer non seulement les modalités d’interrogation et leur rendement (nombre de résultats) mais également les erreurs et errances des internautes. Outre une meilleure connaissance du profil des usagers, cette étude a permis d’élaborer des recommandations pratiques pour améliorer l’efficacité, l’ergonomie et la flexibilité des Opac par une meilleure intégration des technologies qui existent d’ores et déjà sur le web en matière d’intelligence sémantique : correction orthographique et troncature automatiques, abstraction des mots obstacles, saisie live search qui oriente vers les descripteurs contrôlés… L’effort doit également porter vers une meilleure indexation des notices par les moteurs de recherche externes.
Claire Scopsi (Institut national des sciences et techniques de la documentation/Cnam) a enquêté auprès de dix bibliothèques françaises qui ont choisi de s’équiper d’un système intégré de gestion de bibliothèque (SIGB) en open source, depuis 2006. L’enquête porte sur leurs motivations à préférer un logiciel libre plutôt qu’une solution propriétaire, arrêter leur choix sur l’un ou l’autre des SIGB libres existants, opérer ou non des développements additionnels, reverser ou non ces développements au bénéfice de la communauté. Il en ressort des enseignements – plutôt mitigés – dont peuvent tirer profit les bibliothèques intéressées par cette démarche. Tout d’abord, liberté des sources ne signifie pas gratuité des coûts d’implantation. Par ailleurs, l’objectif d’appropriation de la conception des outils induit des besoins en temps et en compétences en développement informatique, qui ne doivent pas être sous-estimés. À défaut de quoi la bibliothèque se retrouve soit « prisonnière de la technologie », vouée à l’utiliser sans y intervenir, soit reprise dans un modèle client/fournisseur similaire à celui qu’imposent les logiciels propriétaires. Ces différents obstacles nuisent actuellement au bon fonctionnement de la logique communautaire inhérente au logiciel libre : les développements additionnels restent rares et aucun n’a donné lieu à un reversement dans le fonds commun. Une mutation culturelle et un effort de formation apparaissent donc comme des clés indispensables pour permettre aux bibliothécaires de reprendre le pouvoir sur leur système d’information.
La question du métier ressort également de l’exposé de Sylvie Grésillaud (Institut de l’information scientifique et technique, Inist/CNRS), centré sur les récentes évolutions opérées par l’Inist dans le traitement de la chaîne documentaire. À la croisée entre bibliothécaire, documentaliste et informaticien, se dessine en effet un nouveau profil de compétences que d’aucuns intitulent déjà « informatiste ».
La communication de Dany Bouchard (École de bibliothéconomie et des sciences de l’information/université de Montréal) portait sur les dépôts institutionnels comme stratégie de réforme de l’infrastructure d’information scientifique. On distingue deux modèles stratégiques à l’origine du mouvement des dépôts institutionnels. Le premier (Crow, 2002) 4 est exclusivement axé sur le libre accès aux résultats de la recherche et conçoit le dépôt institutionnel comme un moyen pour les universités et les bibliothèques de réformer le système de publication scientifique. Dans le second modèle (Lynch, 2003) 5, le dépôt institutionnel vise non seulement l’accessibilité mais aussi l’organisation et la préservation des productions documentaires liées à l’enseignement et à la recherche. La plate-forme logicielle Fedora, développée par l’université Cornell, s’inscrit dans cette seconde orientation. Elle est innovante car elle intègre les dimensions technologique, sociale, culturelle et politique du document dans la conception même du système d’information documentaire et permet une approche renouvelée de -l’offre de service des bibliothèques.
Signalons encore l’intervention de Benoît Epron (Enssib), consacrée au nouveau marché du livre électronique en France, à ses enjeux pour les éditeurs et à ses prochaines implications pour les bibliothèques.