Ressources électroniques en bibliothèques : mesures et usages

Marie-Francoise Liard

Le 28 novembre 2008 s’est tenue à l’université Charles-de-Gaulle – Lille-3 une journée d’étude organisée par l’université et par l’équipe SID (Savoirs, information, document) du laboratoire Geriico (Groupe d’études et de recherche interdisciplinaire en information et communication). Son thème était : « Ressources électroniques en bibliothèques : mesures et usages ».

Les statistiques : sources, formes, traitements

Dès la première session, après le point de vue des représentantes de Couperin et de la Sous-direction des bibliothèques sur la question des statistiques, Cherifa Boukacem (Geriico) entra dans le vif du sujet en présentant le projet EPEF (Évaluation des périodiques électroniques dans le réseau universitaire français : approche comparée par les usages).

L’objectif de ce projet est l’évaluation de l’usage des périodiques électroniques en France au cours de la période 2003-2005. L’essor rapide et massif de la consultation des périodiques électroniques dans l’enseignement supérieur a en effet rapidement fait de leur mesure une question cruciale. L’évaluation, au départ quantitative et longtemps satisfaite uniquement à partir des statistiques des éditeurs, s’est révélée insuffisante et le besoin a été partout ressenti de passer à d’autres types de méthodes.

Le projet EPEF, lancé sur la période 2006-2009 en partenariat notamment avec Couperin, est en train de trouver son aboutissement grâce à une enquête qualitative basée sur des entretiens individuels et collectifs et confrontée aux données d’usage (statistiques des éditeurs dans un premier temps, puis logs) et aux données d’usagers obtenues grâce aux enquêtes ministérielles. Cette interrogation des résultats quantitatifs par le biais du qualitatif permet déjà de cerner ce que ne disent pas les données : pratiques des chercheurs qui amènent à relativiser la croissance, consultation en progression constante des archives (notion pour laquelle l’assemblée peina à trouver une définition autre qu’éditoriale), interdisciplinarité des lectures, et difficulté à cerner les années laissées au-delà de la « barrière mobile ». Cherifa Boukacem ambitionne maintenant, tout en multipliant les études, de resserrer et de cibler l’analyse (par catégorie d’établissements, domaine, éditeur, périodes plus récentes et plus circonscrites).

Éditeurs et intermédiaires : approches prospectives

Après un exposé sur les derniers développements du code Counter, la deuxième session permit aux représentants d’Elsevier, d’Ebsco, de Swets et de Cairn de présenter l’actualité des solutions des éditeurs. Pierre Mounier, du Centre pour l’édition électronique ouverte qui développe Revues.org, exprima beaucoup d’interrogations autour de la fidélité du lectorat des revues (beaucoup plus « consumériste » que le lectorat des blogs) et autour des bibliothèques : sont-elles moins investies dans le référencement et l’indexation des ressources quand celles-ci sont en libre accès ? Faudrait-il pondérer la part des bibliothèques dans l’usage des ressources électroniques ? Le coût élevé de l’audit et de la certification de Counter justifie-t-il son adoption, étant donné les limites de la mesure quantitative et la nécessité, à présent, de comprendre les usages de lecture, d’étudier les comportements et les parcours et d’expliquer les évolutions dans le temps ?

Retours d’expérience

La troisième session fut celle des retours d’expérience : Serge Rouveyrol (UMS MI2S), Magali Colin (Inist), Dominique Rouger (SCD de l’université de Saint-Étienne), Caroline Bruley (SCD Lyon-1) et Cécile Gass (bibliothèque de l’Université libre de Bruxelles) présentèrent les solutions élaborées par leur institution : analyse des logs, récupération des statistiques locales, ou élaboration d’indicateurs comme à l’université de Saint-Étienne : D. Rouger montra comment, en multipliant les indicateurs, on multiplie les points de vue et les comparaisons possibles à partir des statistiques récupérées sur les plateformes des éditeurs (coût à l’article prenant en compte surcoût et chiffre d’affaires papier, taux de titres consultés dans un bouquet, nombre de téléchargements par étudiant…).

L’incertitude plane cependant sur pratiquement toutes les données que nous manipulons – nombre de téléchargements : pour combien d’articles ? nombre d’étudiants : inscrits en début d’année ou encore effectivement présents au moment des examens ? – et même sur les coûts – ceux des abonnements papier réajustés en fin d’année, etc.

C. Bruley présenta les difficultés inhérentes au format électronique dans la mise en œuvre d’une politique documentaire pour ce type de ressources (abonnements pluriannuels, quasiment plus de possibilité de titre à titre, budgets insuffisants, risque de perte de l’archivage pérenne en cas de désabonnement) à partir d’une évaluation sur une année débouchant sur une campagne de réabonnements et sur des actions de formation.

Statistiques et évaluation

Une autre problématique fut abordée lors de la dernière session. Après une approche théorique de Thierry Lafouge (Lyon-1), Manuel Durand-Barthez (SCD Toulouse-3) orienta la réflexion vers l’évaluation des publications scientifiques et la nécessité de réformer le système de l’intérieur en promouvant des alternatives de type qualitatif au modèle quantitatif dominant et en y associant l’OAI (Open Archive Initiative, sur laquelle se sont fondées des expériences récentes). Pour certains domaines, le calcul des citations sur plus de deux ans est plus pertinent, et d’autres facteurs de pondération pourraient être introduits : périodicité des revues, nombre de numéros par an, nombre de textes de type « reviews » et nombre d’articles par numéro, changement de titres en cours d’année, périodiques récents ou « libres » (les articles en accès libre sur le web sont cités de 2,5 à 7 fois plus que les autres), langue, alphabet, « autocitations d’excellence », prise en compte des spécificités des sciences humaines et sociales (primauté des mono-graphies, pérennité des contenus).

Ce fut la conclusion d’une journée particulièrement dense où se succédèrent des interventions d’une réflexion très nourrie : si les problèmes ne pouvaient être résolus ce jour-là, du moins les questions furent posées.