Mécénat culturel et patrimoine écrit
Isabelle Suchel-Mercier
L’Accolad (Agence comtoise de coopération pour la lecture, l’audiovisuel et la documentation) organisait le 4 décembre 2008 à Besançon un séminaire sur le mécénat culturel et le patrimoine écrit, initiative rare sur le développement de partenariats entre acteurs publics et privés, qui devraient dépasser le seul cercle des grands établissements dans un contexte de réduction budgétaire publique.
Dispositif et situation du mécénat en France
Le mécénat culturel occupe une place de plus en plus importante depuis le vote de la loi du 1er août 2003 relative aux mécénats, associations et fondations, qui favorise le soutien des entreprises et des particuliers aux projets culturels et artistiques par une fiscalité très incitative. S’il est nécessaire de le rappeler, le mécénat est un acte philanthropique qui se traduit par un don à un organisme pour des actions d’intérêt général. Les contreparties doivent rester dans les limites d’une « disproportion marquée » entre le montant du don et ce que l’entreprise en retire en termes de communication (consentie à une hauteur maximum de 25 % du montant du don effectué). Les opérations de mécénat peuvent revêtir plusieurs formes : financière, en nature ou de compétence.
Cette source de financement est regardée de près par les institutions et le ministère de la Culture qui a renforcé sa mission de veille et de conseil : une mission mécénat transversale, relayée au sein de chaque direction par un correspondant mécénat et, en écho, un correspondant mécénat en place dans chaque direction régionale des affaires culturelles (Drac) assurant cette même mission. Des rapprochements ont été effectués avec des partenaires stratégiques pour sensibiliser les entreprises et les particuliers à devenir mécènes – signature d’une Charte pour le développement du mécénat culturel avec l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie le 15 mars 2005 et d’un Protocole national pour le développement du mécénat culturel, le 4 octobre 2005 avec le Conseil supérieur du notariat, le 22 novembre 2006 avec le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables –, afin de faire connaître auprès de ces professions en contact quotidien avec les particuliers et les entreprises les dispositifs fiscaux et de mettre en place des réseaux de « correspondants mécénat » dans toute la France.
L’Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial), forte d’une expérience de plus de trente ans, a présenté une analyse claire de la situation française, issue d’une enquête récente, et levé quelques a priori. Le mécénat en France se porte bien et représente plus de 2,5 milliards d’euros. Il n’est pas l’apanage des grands groupes, puisque 73 % des actions engagées le sont par des entreprises de moins de 100 salariés. Le grand gagnant demeure le domaine de la solidarité (avec 47 % des actions) suivi par celui de la culture (30 %). Les entreprises privilégient très souvent des opérations croisées et sont attachées à un mécénat de proximité : 65 % interviennent dans la région dans laquelle elles sont implantées. Le mécénat est souvent une affaire de rencontres, de personnes et de projets construits conjointement entre mécènes et porteurs de projet, autour de valeurs que l’entreprise souhaite défendre. La réduction fiscale n’est pas le plus souvent l’élément déclencheur.
Mécénat et patrimoine écrit
Le patrimoine écrit peut susciter, comme n’importe quelle œuvre d’art, un rapport de fascination et jouer sur un mécanisme affectif, mais une difficulté intrinsèque demeure dans la mesure où les documents ne sont qu’occasionnellement exposés : il est difficile de donner une visibilité à l’action et de garantir une contrepartie. Toutefois le mécénat peut, dans ce domaine, s’inscrire dans plusieurs types d’actions, parfois conjointes : acquisition, restauration, numérisation, valorisation et diffusion.
Le mécénat concerne bien entendu de grandes bibliothèques, en particulier pour des opérations et dispositifs spécifiques qui concernent des biens culturels reconnus « trésors nationaux » ou « œuvre d’intérêt patrimonial majeur », comme ce fut le cas à la Bibliothèque nationale de France pour l’acquisition de 26 épreuves d’affiches de Toulouse-Lautrec fin 2008. Cette reconnaissance permet, suite à un appel à mécénat, le positionnement de grandes entreprises partenaires, qui peuvent bénéficier d’une réduction fiscale conséquente (90 % du montant du versement) dans la limite de 50 % de l’impôt dû. La lourdeur du dispositif n’est pas adaptée aux contraintes des collectivités ni aux impératifs des ventes publiques et, bien souvent, l’opération de mécénat est montée en dehors, comme ce fut le cas à Grenoble pour l’acquisition du journal de Stendhal en 2006. Le soutien à la restauration de documents ou objets remarquables est également un terrain privilégié du mécénat de grandes entreprises, comme dans le cas de la restauration et l’exposition des globes de Coronelli, soutenues par Natixis.
Au-delà de ces exemples prestigieux, les budgets des bibliothèques ne permettent souvent plus de suivre l’augmentation régulière du marché du livre ancien ou le poids de la gestion des collections patrimoniales. Le mécénat peut alors constituer une réponse.
Des initiatives plus modestes et plus locales méritent autant d’intérêt par le nombre d’acteurs mobilisés et l’implication qu’elles ont pu susciter. La bibliothèque de Compiègne lança il y a quelques années une opération intitulée : « Adopter un livre », visant à rechercher des financements pour la restauration des fonds anciens. L’engagement personnel de la direction de la bibliothèque présentant aux entreprises locales des dossiers complets sur chaque ouvrage a été un gage de réussite et a généré douze souscriptions pour un montant de 204 000 euros. La bibliothèque de Gray (Jura), dont le bâtiment et les collections étaient atteints par des attaques importantes d’insectes, a su sensibiliser autour de cet ensemble patrimonial un Américain récemment installé. Une fondation a été créée, pour recueillir les fonds d’une fondation américaine (Private foundation), récoltant des sommes aux États-Unis auprès de particuliers en quête de réductions d’impôt. Cette opportunité, parfois difficile à gérer, a été une chance indéniable, pour une ville de cette taille, de sauver son patrimoine. Des associations liées aux structures culturelles peuvent, après une procédure de reconnaissance d’intérêt général, s’engager dans du mécénat culturel pour l’acquisition de documents remarquables en fédérant des dons individuels. L’association des Amis du musée et des bibliothèques de Besançon favorise cette pratique depuis de nombreuses années, en concertation étroite avec les conservateurs.
Actions de promotion du livre et de la lecture
En marge du patrimoine écrit, le recours à des fondations spécialisées, comme la Fondation du Crédit mutuel pour la lecture, touche le plus souvent des opérations de promotion du livre et de la lecture, accompagnées d’une logique de mécénat croisé avec le secteur solidaire. Une réflexion actuelle émerge sur un micro-mécénat centré sur des associations qui soutiennent le livre et la lecture, où un certain nombre d’aides en nature pourraient bénéficier des avantages fiscaux liés au mécénat (cf. Guide du mécénat, réalisé par la chambre régionale de l’économie sociale du Nord-Pas-de-Calais *).
Les collectivités territoriales jouent un rôle majeur dans le secteur culturel et s’inscrivent de plus en plus dans une diversification de leurs ressources. Elles entretiennent un rapport régulier avec les entreprises de leur territoire, qu’elles peuvent inciter à une démarche de mécénat. Dans tous les cas, les actions menées s’appuient sur la rencontre de deux mondes qui souvent se méconnaissent ; la qualité de cette rencontre et l’investissement du responsable de la bibliothèque sont déterminants. La Direction du livre et de la lecture, qui manque de visibilité sur le mécénat dans les bibliothèques publiques, s’apprête à lancer une enquête en 2009 pour mieux assurer sa mission de conseil.