Rencontres européennes de la littérature pour la jeunesse
Nicole Wells
Les 27 et 28 novembre 2008, la Bibliothèque nationale de France accueillait les Rencontres européennes de la littérature de jeunesse, organisées par la BnF/Centre national de la littérature pour la jeunesse-La Joie par les livres, et invitant à échanger sur le rôle de la littérature pour la jeunesse dans la construction d’une culture européenne.
Entre uniformité, diversité et identités
Jorge Semprun, rappelle en introduction que « la seule vraie frontière de l’Europe c’est la démocratie 1 », sa seule langue « la traduction ».
Les premières interventions s’attachent à des moments significatifs de l’histoire de la littérature pour la jeunesse. Selon Emer O’Sullivan (professeur de littérature anglaise à l’université de Lüneburg), deux courants sont issus de la « république universelle de l’enfance 2 », l’un utopique, autour de la figure éternelle de l’enfant, l’autre pragmatique, au service de la diversité culturelle. Suivant les pays, l’enfance est présentée comme une période d’apprentissage, ou comme un retour au paradis de l’innocence. Mais la diversité résiste mal à la mondialisation qui a transformé le livre en produit de loisir. Les éditeurs économiquement contraints à la coédition d’albums illustrés s’inclinent souvent devant les valeurs d’un partenaire dominant.
Mathilde Lévêque (maître de conférences à Paris-13) compare, dans la France et l’Allemagne de l’entre-deux-guerres, les romans qui se rangent sous la bannière du pacifisme et de l’utopie. En dépit d’un climat politique frileux, les textes dialoguent entre eux, à travers l’inter-textualité d’un motif, ou la traduction utilisée pour lutter contre la montée du nazisme.
Quant à la littérature suédoise, dont Lena Kareland (professeur émérite à l’université d’Uppsala) suit l’évolution depuis la publication de Fifi Brindacier, elle connaît une alternance de périodes de liberté et de normalisation. Aujourd’hui, le roman pour la jeunesse compose avec une société mondialisée en quête de satisfaction immédiate. De nouveau, le masculin domine dans les albums, les personnages de filles fortes ont disparu et les livres sont concurrencés par toutes sortes de médias.
La question de l’identité culturelle est soulevée par Patrick Cabanel (professeur d’histoire contemporaine à l’université de Toulouse-Le Mirail) : un État devient une nation dans la mesure où il s’invente une fiction fondatrice qui rassemble les citoyens autour d’un patrimoine commun. Cela ne veut pas dire pour autant que Le tour de France de deux enfants est un livre nationaliste, pas plus que Don Quichotte ou Le merveilleux voyage de Nils Holgersson. On peut aussi s’interroger, avec Teresa Duran (auteur, professeur à l’université de Barcelone), sur l’identité culturelle de l’Espagne, dotée de quatre langues officielles et de nombreuses langues régionales. Après l’âge d’or de l’édition barcelonaise à la fin de la guerre, la concurrence de Madrid, dans les années 1970, incite les grands éditeurs catalans à publier en castillan. Se développe alors une politique de traduction effrénée, notamment chez les petits éditeurs : les illustrateurs pour la jeunesse deviennent secondaires, l’essentiel est d’écrire puis de traduire.
Les participants 3 de la table ronde animée par Jean-Baptiste Coursaud (traducteur du norvégien et du danois, directeur de collection chez Gaïa) poursuivent cette réflexion à la lumière de l’histoire récente de leurs pays. Pourquoi la tradition de l’illustration tchèque des années 1930, qui a survécu à deux époques communistes, a-t-elle été interrompue en 1990 ? La « révolution de velours » a bouleversé le paysage éditorial. Les grandes maisons étatisées se sont effondrées. Aujourd’hui, l’édition de jeunesse, peu influencée par les tendances du secteur international, propose principalement des contes, des romans et des ouvrages éducatifs. Quelques éditions marginales, dont Baobab créé en 2000, proposent une production plus moderne. En Bulgarie et en Roumanie, après une histoire similaire, l’édition est envahie par la traduction.
Qu’en est-il alors de la construction d’une identité européenne ? Les participants 4 de la table ronde sur « identité et citoyenneté » sont unanimes. Jusqu’à présent le discours a tendance à privilégier l’État-nation plutôt que l’Europe. L’Italie se préoccupe davantage de dialogue multiculturel que de citoyenneté européenne. Les documentaires sur le sujet en Angleterre ou aux Pays-Bas sont convenus. Par contre, l’Europe est un thème récurrent dans le domaine de la fiction ; albums et romans cultivent avec ironie les différences, jetant les bases d’une connaissance sans préjugés.
Des éditeurs aux lecteurs
Anne-Marie Autissier (maître de conférence à l’Institut d’études européennes) présente les dispositifs de la communauté européenne en direction du livre et de la lecture des jeunes. Des actions emblématiques, notamment la mise en place progressive d’un outil informatique compétitif appuient l’effort culturel des pays de l’Union dans le respect de leur souveraineté, tout en veillant à ce que les aides des États ne contreviennent pas à la libre concurrence des marchés intérieurs.
La confrontation entre deux éditeurs 5 que tout oppose, souligne les enjeux du métier en Europe. La jeune maison française du Rouergue est connue pour avoir fait de ses petits albums carrés un objet familier, qui met en scène l’idée de collection. Querido, vieille maison d’Amsterdam fondée en 1915, au catalogue littéraire exigeant, revendique au contraire de donner à chaque livre le format dont il a besoin. Mais tous deux, prudents sur la question d’achat de traductions, affirment le souci de préserver leur image en ne retenant que des œuvres de qualité.
La Suisse et l’Espagne mettent en œuvre des démarches très proches autour de l’éveil au livre chez les très jeunes enfants : « Nés pour lire 6 » et « Lire sans savoir lire 7 ». Les parents, contactés à partir des lieux qu’ils fréquentent, bénéficient d’un accompagnement qui propose des situations de découverte du livre dans un cadre ludique. En Italie, où la famille est organisée autour du rapport exclusif mère-enfant et où il existe peu de crèches, seul le pédiatre peut servir de relais. L’absence de politique nationale du livre fait que le travail de chaque région reste confidentiel et que la production italienne pour les 0-3 ans est laissée à l’initiative privée 8.
Paolo Canton (éditions Topipittori) rappelle que si l’éditeur d’albums pour de très jeunes enfants doit respecter la réglementation relative à la sécurité de l’objet-livre, le plus difficile reste le contenu. Comment communiquer avec des enfants de 0 à 3 ans ? Peut-être comme le fait Jeanne Ashbé (auteur-illustratrice belge), en abordant le monde à la manière de l’enfant, avec des détails de mise en page et une image ouverte qui respectent la liberté d’interprétation de chaque lecteur.
Plusieurs réalisations exemplaires témoignent de pratiques d’échanges, notamment « Animaliter », coopération culturelle sur l’illustration dans le cadre du club de Strasbourg autour de l’animal, le « Prix des lycéens allemands et autrichiens », inspiré du modèle du Goncourt des lycéens en France et « Lire en version originale à la bibliothèque interculturelle d’Oslo ». Le prochain congrès d’Ibby 9, en 2010 à Saint-Jacques-de-Compostelle, sera consacré aux langues minoritaires.