C’est quoi ce bruit dans le Salon ?!
24e Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis
Florence Bianchi
Du 26 novembre au 1er décembre 2008, s’est tenu à Montreuil le 24e Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis 1, avec une fréquentation en hausse de 4 % par rapport à l’an dernier et une couverture médiatique beaucoup plus importante. Il faut dire que l’affiche, très réussie, et le thème choisi, « peurs et frissons », avaient de quoi intriguer et attirer. Il était, cette année encore, superbement incarné par l’exposition collective de la Fabrique « Clac clac : six moments de frayeur » coordonnée par l’auteur-illustrateur Olivier Douzou. Trois artistes ont notamment su créer des univers intrigants, esthétiques et… efficaces, à en juger par les « Maman, j’ai peur… » murmurés « dans les petits cailloux » de Michel Galvin, « petites stations d’angoisse » dans lesquelles on glissait sa tête pour s’enfermer dans un espace visuel et sonore glaçant à souhait, les hurlements de terreur poussés « dans la chambre » d’enfant à double visage de Stéphane Blanquet et les mines graves penchées sur troncs d’arbres qui abritaient, « dans la forêt », les cauchemars de Beatrice Alemagna.
Peurs et frissons
Côté rencontres, « Autour de la nuit et des tout-petits », animé par Aline Pailler (France Culture), a permis d’aborder « l’érotisation de la sensation de peur » (Marina Stephanoff, psychologue clinicienne) et son rôle dans la construction de soi et l’apprentissage de la solitude, à travers « le plaisir sensoriel qu’il y a à déjouer et maîtriser un surgissement non pas brutal, mais attendu ».
Lors de « Peurs affichées, peurs cachées », les intervenantes de l’Arple (Association de recherche et de pratique sur le livre pour enfants) ont montré, « livres en mains », différentes approches de la peur par les albums et différents accompagnements par l’adulte, pour aider l’enfant à traverser les peurs et à négocier avec elles, sachant qu’« à chaque moment, chacun gère sa peur à sa mesure » (Anne-Sophie Zuber).
« Peurs d’hier, peurs d’aujourd’hui : jusqu’où peut-on aller dans la littérature pour la jeunesse ? », animé par Marie-Aude Murail, a été l’occasion pour Moka d’avouer avec un grand sourire être particulièrement satisfaite quand ses lecteurs dorment mal à cause de ses livres : « Ils sont ravis d’avoir peur. Quand j’écris, plus c’est horrible, plus je rigole. » Moins légère, Marie-Hélène Delval a reconnu avoir écrit très vite la scène la plus violente des Chats, avoir eu peur de ce qu’elle avait écrit et s’être demandé : « Ai-je le droit d’écrire ça pour de jeunes enfants ? Oui, car la scène est logique et nécessaire. On peut aller très loin dans une histoire, à condition que ce soit logique. »
Qui a peur de la littérature ado ?
La question des limites se posait avec encore plus d’acuité à propos de la littérature ado, après la polémique du Salon 2007 suscitée par l’article du Monde des livres « Un âge vraiment pas tendre 2 » sur la noirceur supposée de la littérature pour adolescents. Les trois volets de « La littérature ado en questions » – anticipation et fantastique, quand l’histoire s’en mêle et réalisme social et sujets de société – étaient précédés d’une intervention d’Annie Rolland (psychologue clinicienne et docteur en psychologie clinique et pathologique), auteur de Qui a peur de la littérature ado ? 3. Celle-ci revenait notamment sur les volontés de censure par des adultes inquiets des « traumatismes » qui seraient déclenchés par certaines lectures et questionnait la responsabilité des médiateurs : « certainement pas coupables, mais pas non plus responsables », ils doivent au contraire être fiers d’être des interlocuteurs privilégiés grâce auxquels les ados peuvent exprimer leur désarroi. C’est le livre – « ni responsable, ni coupable, lui non plus » – qui a déclenché un écho.
La question de la censure (par l’éditeur) et de l’autocensure était également évoquée lors de la soirée ados du vendredi avec les auteurs du Juke-box nouvelle version – conçu pour circuler dans les collèges et les bibliothèques du département –, sur le thème « Noir, c’est noir ». Si tous apprécient la liberté d’écriture laissée par leur éditeur, avec quelques -ajustements pour « ne pas en rajouter dans la noirceur » (Xavier-Laurent Petit) 4, parce que « noir pour noir ne sert à rien » (Chris Debien) 5, on retiendra la belle formule de Sylvie Deshors 6 : « Je m’interdis très peu de choses, mais je m’arrête à la désespérance : je ne veux pas faire un livre qui suscite la désespérance. »
Travailler ensemble en région Paca
La région Provence-Alpes-Côte d’Azur, invitée des journées professionnelles, présentait sa politique du livre au Carrefour du mot et de l’image. Ont ainsi été exposés d’« exemplaires » projets de coopération interprofessionnelle (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires) et de coopération euro-méditerranéenne, notamment autour de l’association Éditeurs sans frontières et du Cobiac (Collectif de bibliothécaires et intervenants en action culturelle). Léonor de Nussac (Agence régionale du livre) a montré comment le prix littéraire des lycéens et apprentis permet de créer une coopération territoriale durable à partir des trios de partenaires (librairie, établissement scolaire, bibliothèque) constitués à l’occasion du prix, sur toute l’année scolaire, pour une durée de trois ans : si d’autres trios sont ensuite constitués, les liens et le maillage perdurent. Les différents intervenants ont insisté sur « l’alchimie » qui s’opère autour de ce prix, en particulier auprès des non-lecteurs. Arnaud Cathrine, lauréat 2007, a souligné le plaisir pris à cette « aventure au long cours » et n’a pas encore surmonté le trouble ressenti à être « acclamé comme une rock star » lors de la remise du prix : « L’émulation de la Star Ac’ pour des bouquins ! »