La place de l’auteur dans les manifestations du livre

Françoise Legendre

Une cinquantaine de personnes – auteurs, bibliothécaires et organisateurs de manifestations littéraires – assistaient à cette journée, organisée par l’Agence régionale du livre et de la lecture de Haute-Normandie le 13 novembre 2008 au musée des Beaux-Arts de Rouen. Cette journée marquait le lancement officiel de la Charte des manifestations de promotion du livre et de la lecture en Haute-Normandie, en présence des représentants des institutions et collectivités territoriales associées à l’élaboration de la charte : ARL de Haute-Normandie, direction régionale des affaires culturelles, région, départements de l’Eure et de Seine-Maritime. Fruit d’un travail interprofessionnel de deux ans qui a révélé la richesse de ces manifestations ainsi que les faiblesses et les attentes, cette charte vise à proposer un code de bonnes pratiques pour l’organisation des manifestations culturelles en région.

Entre littérature et sociabilité : le rôle des manifestations littéraires

La sociologue Martine Burgos a rappelé la place qu’ont aujourd’hui la lecture et le livre. Dans un contexte de « fin de la lecture comme fait culturel total », le seul domaine où le livre est préféré à d’autres supports est celui du rêve. Quel est alors le rôle des manifestations littéraires, des formes les plus légères aux plus lourdes ? Les trois termes « rassembler, témoigner, incarner », qui peuvent être considérés comme liés aux manifestations littéraires, renouent avec une conception religieuse : faire ensemble les gestes à accomplir pour que le livre trouve sa place dans la cité, rassembler dans un lieu pour former, avec ce public, une communauté.

Les manifestations littéraires ont fréquemment pour objectif d’être une fête dans la ville, l’écrivain se rendant dans différents lieux telle une figure christique portant la bonne parole tandis qu’une « grand-messe » avec élus est organisée en présence des médias. Martine Burgos s’intéresse surtout aux manifestations littéraires où la médiatisation n’impose pas sa logique parce qu’un important travail de préparation à la rencontre – avec des écrivains, ou d’autres acteurs du livre – est mené en amont : les participants ne sont pas consommateurs mais acteurs. La sociabilité et le débat d’idées sont consubstantiels de la littérature et les manifestations jouent un rôle important sur la façon dont le lecteur « socialisera cette lecture ». Si le livre participe d’une quête personnelle permettant de « s’arracher aux places normalement assignées », la sociabilité comme partage valorise l’acte de lecture, notamment pour les jeunes.

Au-delà de cette sociabilité, les manifestations littéraires font-elles lire ? qui ? comment ? quel est le profil de leurs publics ? qu’attendent les écrivains de ces manifestations ?

Pourquoi et comment rencontrer un auteur ?

La table ronde « Pourquoi rencontrer un auteur ? » réunissait Martine Burgos et différents acteurs de manifestations littéraires. Pour Jean-Claude Tardif, auteur et animateur des rencontres « Le livre à dire », l’affinité avec l’esprit de la manifestation littéraire compte beaucoup, ainsi que la possibilité d’échange avec des gens de passage : rencontrer l’autre, alors que cet autre n’était pas présent durant l’acte d’écriture. Pour Michel Linden, médiateur littéraire, c’est l’envie de transmettre le plaisir éprouvé lors d’une lecture qui est moteur, et plus encore dans un lieu où l’on ne s’attend pas forcément à voir un écrivain, par exemple lors du Festival du cinéma nordique, entre deux films. Le fait d’aller contre « la mystique de l’écrivain », hors des phénomènes commerciaux, est important. Martine Burgos insiste sur le fait que si la dimension conviviale est positive, c’est ce qui se passe en amont qui fait la valeur de la rencontre : alors peut naître l’engagement, la vitalité du fait littéraire. Les conflits d’interprétation ou de positionnement esthétique deviennent publics et peuvent faire naître une vraie réflexion culturelle.

La table ronde « Comment renouveler les formes de la présence de l’auteur ? » rassemblait trois organisateurs de rencontres qui s’inscrivent dans la durée avec des publics divers (scolaires, centres sociaux, personnes âgées, maison -d’arrêt…). Selon Laëtitia Daget, le Salon livres et musiques de Deauville, en rassemblant des auteurs et musiciens (écrivains, paroliers, auteurs musiciens, biographes de musiciens…) donne lieu à des créations qui font que cette manifestation littéraire confine au spectacle. Laurent Brixtel, responsable de Normandiebulle (festival BD de Darnétal) insiste sur l’importance de la dédicace et de la présence d’un invité d’honneur médiatique pour attirer un large public qui peut découvrir des auteurs ou éditeurs qu’il ignorait. Éric Sénécal défend les axes culturel, éducatif et social sur lesquels reposent les rencontres avec des poètes d’aujourd’hui, proposées à la Maison de la poésie à Dieppe, en direction de publics très divers et avec un succès qui se mesure notamment à la quantité de livres (d’éditeurs très peu connus) vendus à Dieppe.

Statut et rémunération de l’auteur

Bénédicte Malaurent, sociologue, ancienne assistante sociale de la SGDL (Société des gens de lettres) est intervenue sur le statut et la situation sociale de l’auteur. Les auteurs ont des itinéraires singuliers mais ont souvent en commun le besoin d’écrire et la précarité. Les conditions d’adhésion à la SGDL ont été expliquées, ainsi que l’aide qu’elle peut apporter : modèles de contrat, écoute – très importante pour beaucoup d’auteurs très seuls –, assistance dans les « catastrophes » économiques et sociales ou les problèmes de santé liés à la précarité, information sur la retraite…

Claire Castan, chargée de mission Auteurs à l’ARL Paca, Matthieu Douxami, adjoint de direction à l’Agessa (Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs) et Bénédicte Malaurent ont précisé avec clarté et rigueur le rôle de l’Agessa, les conditions d’affiliation (sur 20 000 écrivains recensés, 1 500 sont affiliés à l’Agessa, ce qui est différent de l’assujettissement, automatique dès publication) et les principes et dispositifs légaux de rémunération des auteurs dans le cadre de leurs différents types d’interventions. La brochure réalisée par Claire Castan, Comment rémunérer les auteurs ?, disponible sur le site de l’ARL Paca  *, est une très précieuse aide sur le sujet.