Conférence européenne sur la numérisation du patrimoine culturel

Isabelle Westeel

C’est dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne que s’est tenue les 27 et 28 novembre 2008 une conférence sur la numérisation du patrimoine culturel qui a réuni plus de 600 personnes au musée du quai Branly. Les actes ont été publiés en ligne au moment de la manifestation dans un numéro de Culture et recherche coordonné par Christophe Dessaux et Sonia Zillhardt  1. Cette conférence a rassemblé des institutions culturelles françaises et étrangères concernées par le numérique : musées, bibliothèques, archives, universités et laboratoires, mais aussi des représentants de collectivités locales et du secteur privé.

La vedette européenne

La vedette attendue était Europeana  2, prototype de la bibliothèque numérique européenne. La présentation générale de ce portail ou point d’accès commun et multilingue aux collections patrimoniales européennes (musées, bibliothèques, archives, collections audiovisuelles) a remis le projet dans le contexte des programmes européens qui ont permis sa mise en œuvre : eContent et eContentPlus – TEL (The European Library) et TELPlus, EDL (European Digital Library), Minerva  3 et MinervaPlus, Michael et MichaelPlus. La bibliothèque numérique européenne devrait voir le jour en 2010 sous le nom d’Europeana 1.0. Europeana, réservoir patrimonial (deux millions d’objets : textes, images, vidéos, sons) est actuellement très largement « alimenté » par les programmes français : Gallica 2, les portails Collections et Généalogie de Culture.fr et les collections audiovisuelles de l’INA (Institut national de l’audiovisuel). Le portail allemand BAM  4 (Bibliothèques, archives, musées) et le portail italien CulturaItalia  5 y contribueront prochainement. Les bibliothèques nationales servent actuellement de relais pour plus de 1 000 institutions culturelles des États membres.

Le droit d’auteur

Dès le début de la conférence, les questions juridiques ont été au cœur des préoccupations, notamment le problème épineux des « œuvres orphelines ». Les travaux récents du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique  6 en France et ceux de la Commission européenne  7 ont été rappelés.

Le projet Arrow, financé dans le cadre d’eContentPlus, prévoit de créer une infra-structure qui permettra d’obtenir, au niveau européen, les informations sur le statut de protection des œuvres et les coordonnées des ayants droit ou des organismes appropriés.

Au cours des deux journées, les représentants des sociétés de gestion de droits n’ont pas manqué de réagir, par exemple sur la question de la diffusion des œuvres cinématographiques et musicales protégées par le droit d’auteur. Sur ce sujet, la présentation très documentée techniquement (métadonnées, protocoles, interface) du Portail de la musique contemporaine par Michel Fingerhut  8, de l’Ircam, a permis de comprendre le fonctionnement d’un modèle de diffusion de contenus protégés : « Le projet a inclus une étude juridique et une négociation avec les sociétés de droits afin de permettre la mise en ligne d’extraits sonores sur l’internet et la consultation intégrale in situ. » Enfin, la collaboration de la BnF et du Syndicat national de l’édition (SNE) pour rendre accessibles sur Gallica 2 des livres sous droit (10 000 fin 2008) entre dans le cadre de ces expérimentations destinées à tester de nouveaux modèles économiques.

Financements publics et privés

Ces journées ont montré, s’il en était besoin, l’importance majeure de l’effort financier de l’État dans le développement de la numérisation du patrimoine culturel en France, notamment avec le Plan national de numérisation. De nombreux projets présentés ont pu bénéficier de ces crédits : les portails Collections et Généalogie de culture.fr, le programme « Corpus de la parole » (valorisation des corpus oraux existants du français et des 75 langues de France), la modélisation en 3D du Petit Trianon ou de la chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, le portail des orchestres français ou celui de la musique contemporaine. Le Centre national du livre (CNL) complète ce dispositif efficace par des aides en direction des éditeurs sur des modèles à redéfinir. Les projets de numérisation restent néanmoins très coûteux. Les plans d’aide de l’État, souvent déterminants, pourraient être accompagnés plus souvent de financements privés. Trois projets majeurs ont montré les réussites ou les attentes de ce type de collaboration : la British Library et l’éditeur spécialisé Cengage Gale pour la mise à disposition de versions numérisées de journaux anciens, Gallica 2 pour l’accès à des œuvres sous droit et enfin la bibliothèque municipale de Lyon dans le cadre de l’appel d’offres remporté par Google pour la numérisation de 500 000 volumes de la BML (ouvrages libres de droit et antérieurs au XXe siècle). Le discours de Lyon est réaliste : ce marché permet de résoudre la question récurrente du financement et il n’empêche pas la BML de développer sa propre bibliothèque numérique.

Appropriation des contenus

Enfin, les usages que les internautes font des données mises en ligne ont constitué le fil directeur de la conférence, signe de l’émergence actuelle (et durable ?) des technologies issues de la mouvance du web 2.0. L’appropriation et la réutilisation des contenus par les internautes sont des réalités constatées dans de nombreux projets : « 20 % des internautes quittent Gallica en emportant des documents » ; pour les Archives nationales du Royaume-Uni : « Pour chaque document demandé en salle de lecture, plus de 200 sont téléchargés en ligne. » Les enquêtes d’usage incitent à construire des systèmes susceptibles de mieux répondre aux attentes des utilisateurs. L’INA propose de « sortir du syndrome de la première page » en travaillant sur une offre de services. Son site, qui reçoit un million de visites par mois, présente des fonctionnalités enrichies sur sa partie grand public « Archives pour tous ». D’une manière quasi unanime, les intervenants ont plaidé pour des modes d’accès simplifiés, pour l’amélioration des systèmes de navigation (des vignettes en page d’accueil) et pour l’« éditorialisation » des contenus. Le site de la Tate  9 à Londres, acteur reconnu de l’éducation artistique, constitue une référence pour les musées.

Plusieurs intervenants ont plaidé pour une véritable libéralisation des contenus qui relèvent du domaine public, encouragement pour la réutilisation des contenus numériques et condition indispensable pour assurer la liaison entre patrimoine et création.