10 ans de bibliothèque de recherche à la BnF

Pablo Fuentenebro

À l’occasion du dixième anniversaire de la bibliothèque de recherche du site François-Mitterrand (le « rez-de-jardin »), la Bibliothèque nationale de France organisait le 5 décembre 2008 une journée de réflexion destinée à « tous ceux qui ont contribué à la création d’un outil exceptionnel au service de la recherche ». Dans un moment où la BnF fait à nouveau la une des journaux 1 à cause de son coût de fonctionnement et de son rôle dans un quartier émergent, la célébration de cet anniversaire du rez-de-jardin se présentait comme une bonne occasion de parler non seulement du passé récent mais aussi de l’avenir de l’établissement.

Si Dominique Perrault, l’architecte, avait dans l’esprit d’offrir « une place pour Paris [et] une bibliothèque pour la France », le dessin, l’architecture et le rôle de cette bibliothèque pour la culture et la société françaises sont des questions qui, vingt ans plus tard, restent fondamentales 2. Située, en effet, au cœur du « nouveau » treizième et de la vaste opération d’aménagement Paris Rive gauche, la BnF est devenue le bâtiment phare du nouveau quartier. Pourtant, son parvis, la fameuse esplanade en bois glissante, a du mal à attirer le public et cet espace n’est jamais devenu un véritable lieu de rencontre et de sociabilité. À l’intérieur, la BnF doit faire face à ce que certains ont appelé « le problème des étudiants », c’est-à-dire la fréquentation majoritaire du haut-de-jardin par des lycéens et des étudiants de licence. Bien sûr, il ne s’agit pas d’un véritable problème mais plutôt d’un manque de définition du rôle de ce niveau depuis ses origines.

Quelle mission, quel projet ?

La journée a réuni autour de plusieurs tables rondes, animées par Yves Alix (BBF) et Laurence Santantonios (Livres Hebdo), quelques-uns des protagonistes du projet. Après le discours inaugural de Bruno Racine, un premier débat s’est ouvert sur la notion d’« établissement d’un genre entièrement nouveau », lancée par François Mitterrand à l’annonce de la construction. Jean-Noël Jeanneney, Michel Melot, Jacqueline Sanson et François Stasse, des figures clés dans l’histoire du projet, ont assuré une discussion intéressante… et ouverte : même si le sujet principal de cette journée était la bibliothèque de recherche, la conversation a dévié rapidement vers la question du haut-de-jardin. Dans l’esprit de chacun revenaient les interrogations sur la mission de la bibliothèque.

La table ronde suivante a débattu d’un sujet pas moins passionnant (ni controversé) : celui du projet architectural. Philippe Bélaval, Dominique Alba et Jacques Toubon n’ont pas voulu revenir sur les polémiques originelles, bien connues de tous, mais plutôt sur le rôle que la BnF Tolbiac, en tant que bâtiment doté d’un fort contenu symbolique, avec une personnalité architecturale très forte, joue aujourd’hui dans la vie des Parisiens.

Ensuite, une troisième session concluait la matinée, autour de la bibliothèque en tant que « lieu de lecture [et] de culture ». La question du haut-de jardin est revenue dans la discussion entre Bruno Racine, Jean-Pierre Angrémy et Roland Schaer. En effet, dès ses origines, la vocation de la BnF n’a pas été seulement l’étude et la recherche mais aussi le partage des idées, la culture, la sociabilité, l’accès de tous à la démocratie du savoir. Pourtant, les résultats de ce défi culturel et social restent très limités et le projet de réaménagement annoncé du haut-de-jardin doit précisément relever le défi.

L’après-midi a été rythmé par deux sessions dévolues aux professionnels et aux chercheurs, l’une consacrée à la documentation et l’autre aux nouveaux services proposés aux lecteurs. La première a réuni l’expertise de Dominique Arot, Michel Marian, Albert Poirot et Daniel Renoult ; la seconde, celle d’Alain Giffard, Jean-Marie Goulemot, Gérald Grunberg, Emmanuel Le Roy Ladurie, Pascal Ory et Séverine Blenner-Michel. Constat commun : le développement d’internet et du numérique a entraîné une véritable révolution des supports et des contenus du travail et de la recherche pour les usagers et les bibliothécaires.

L’avenir de la BnF et des grandes bibliothèques

La dernière table ronde, avec Milagros del Corral, directrice de la Bibliothèque nationale d’Espagne, Bruno Patino et Bruno Racine était consacrée à l’avenir de la BnF et des grandes bibliothèques. Dans le contexte des nouvelles technologies de l’information, de nouveaux modèles économiques de diffusion de l’information sont en train de se mettre en place. Les bibliothèques doivent proposer de nouvelles stratégies pour s’assurer une place dans le schéma de consommation culturelle où notre société est immergée aujourd’hui. Cette place semble entièrement à inventer, comme il ressortait de la conversation entre Jacques Attali et Bruno Racine qui clôturait la journée.

La construction de la BnF a marqué le début d’une période caractérisée par une sorte de fièvre des grandes bibliothèques, comme Michel Melot le disait il y a quelques années. Dans un moment de l’histoire où (presque) toute l’information est accessible en ligne, il est étonnant de voir comment de nombreuses villes en Amérique, en Europe et en Asie continuent de lancer des projets pharaoniques de bibliothèques. Certains annonçaient la fin proche du livre comme support matériel de l’écrit, et avec lui la fin du besoin d’espaces pour les héberger et les consulter. Il est pour le moins paradoxal de constater l’enthousiasme avec lequel des villes telles que Seattle, Vancouver, Denver, Londres, Paris et même Alexandrie se sont lancées dans la construction d’immenses bibliothèques.

« Le plus large don qu’il est possible de faire à Paris consiste aujourd’hui à offrir de l’espace, du vide, en un mot : un lieu ouvert, libre, émouvant. Ainsi, l’énorme bâtiment, pressenti avec emphase et contorsions architecturales à l’appui, se transforme en un travail sur le vide, luxe absolu dans la ville, proposant l’immatérialité, le non-ostentatoire, à l’Histoire de France. » Ce qu’écrivait Dominique Perrault en 1989, son désir de donner de l’espace public à la ville mais aussi celui de faire de ce site un lieu de rencontre, tout en promouvant une architecture sans précédent pour une bibliothèque, restent aujourd’hui des questions incontournables auxquelles il faut toujours revenir pour que la mission et le fonctionnement de la Bibliothèque nationale de France demeurent ceux d’une bibliothèque du XXIe siècle. •