Les 20 ans de Bibliest

Christian Massault

Si tous les centres régionaux de formation aux carrières des bibliothèques (CFCB) n’ont pas souhaité fêter le vingtième anniversaire de leur création, ou eu l’occasion de le faire, l’initiative de Bibliest a permis de réunir quelques participants historiques de cette aventure, et de confronter leur expérience aux interrogations des responsables actuels de ces centres, ainsi qu’à celles des bibliothécaires du réseau.

Ces regards croisés ont nourri les deux tables rondes qui structuraient cette journée, organisée le 14 novembre 2008 à la Maison de l’université de Dijon, et permis de mesurer la très nette évolution des politiques de formation professionnelle sur la période. Ils ont également pointé des réussites, mais aussi des difficultés, voire des contradictions, sur ce terrain complexe où se rencontrent la mise en place et l’évolution des filières de la fonction publique, des modes de recrutement et la nécessaire réévaluation des métiers et des compétences attachées.

En ouverture, Sophie Béjean, présidente de l’université de Bourgogne, souligna que cet anniversaire coïncidait avec le cinquantenaire du campus et insista sur l’importance stratégique et opérationnelle de tels centres au sein de l’université, particulièrement dans l’articulation entre formation initiale et formation continue.

Quels enjeux pour quel métier ?

La première table ronde, modérée par Nicolas Ruppli (conseiller livre et lecture, Drac de Bourgogne), se proposait de faire un état des lieux de la formation continue des bibliothécaires.

Georges Perrin (Inspection générale des bibliothèques) a présenté la synthèse de quelques rapports récents, particulièrement sur la formation organisée par l’ABF (Association des bibliothécaires de France) et la formation continue des agents de l’État. Pour la première de ces formations, sont pointés les difficultés à assurer une couverture nationale, le programme trop traditionnel et certains outils obsolètes, la chute des inscriptions, le public potentiel mal cerné, le manque d’ouverture hors bibliothèques, l’absence d’indicateurs d’évaluation. Pour la seconde, il révèle que la formation continue a peu d’incidence sur les déroulements de carrière, que les moyens ont porté surtout sur la formation initiale, qu’il existe toujours une grande disparité hommes/femmes, que les catégories A et B sont trois fois mieux servies que les C. Il présente quelques évolutions liées à la loi de 2004 sur la « formation professionnelle tout au long de la vie », particulièrement sur la place relative de la formation initiale, qui devient une étape dans la carrière, la mise en place du droit individuel à la formation (DIF) et la place modeste de la validation des acquis de l’expérience (VAE) et de la reconnaissance de l’expérience professionnelle (REP).

Sylvie Mankiewicz (Enact, École nationale d’application des cadres territoriaux, Nancy) a présenté les dispositifs d’application de la loi de février 2007. Les principaux axes en sont : le remplacement de la formation initiale par une formation d’intégration (réduite à cinq jours) et de la formation continue par une formation obligatoire de professionnalisation sur les deux premières années, obligations renouvelables tous les cinq ans. Les mots clés de ces nouveaux dispositifs sont : l’agent au cœur du système, l’individualisation du parcours, la modularisation, les itinéraires et parcours coordonnés, la prise en compte des évolutions de l’environnement et des conséquences en termes de missions et de compétences. Toutes ces étapes seront inscrites dans le « livret de formation », individuel et obligatoire, qui devra accompagner l’agent au long de sa carrière.

Patrick Mano (CFCB de Marseille) et Nathalie Cêtre (directrice de Bibliest) vont ensuite, et tour à tour, montrer les paradoxes et les difficultés auxquels les centres de formation peuvent être confrontés. Il y a consensus sur le fait que les marchés publics ne sont pas en adéquation avec le monde de la formation, que les centres et le CNFPT (du fait de leurs missions respectives de service public) devraient avoir des rapports partenariaux et non de prestataires en concurrence avec les organismes privés. Il existe néanmoins une volonté nationale de développer les coproductions pour pallier en partie cette situation paradoxale. Une question est posée, dont la réponse est en suspens, celle de l’évaluation des compétences acquises. Une nécessité est pointée, prendre en compte la mixité des publics, universitaires et territoriaux.

Marie-Odile Armand a décrit le Centre départemental de lecture publique (ex-Association des amis de la bibliothèque départementale) de Saône-et-Loire. Cette association constituée d’élus et de professionnels prend en charge, depuis de longues années, autant la formation d’auxiliaire de bibliothèque de l’ABF que l’organisation de journées ou voyages d’étude, ainsi qu’un certain nombre de prestations au service du réseau de la BDP. La convention avec le conseil général, la définition des missions de type délégation de service public, hors des contraintes des marchés publics, posent la question de la validité actuelle de cette situation. Ce modèle d’association, qui a quasiment disparu sur le territoire national, n’est manifestement plus adapté.

Une histoire de vingt ans des CFCB

Tel était le propos de la seconde table ronde, réunissant Maurice Didelot (ancien directeur de Médial), Sylvio Marchetti (ancien directeur de Bibliest) et Christophe Pavlidès (directeur de Médiadix). Sans nostalgie excessive, ce fut l’occasion, après le résumé par Christophe Pavlidès de l’histoire des centres (genèse et évolution), d’échanger essentiellement sur les évolutions majeures entre les premières missions, centrées sur l’héritage du CAFB (certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire), et la diversité actuelle (préparation aux concours, formation continue, etc.). Les agents territoriaux des bibliothèques, tout en étant les plus gros utilisateurs de formation, sont ceux qui se plaignent le plus qu’il n’y en a pas assez. Un autre paradoxe consiste à avoir construit une identité professionnelle sur une monovalence en compétence documentaire, alors que ce qui nous distinguerait le plus serait plutôt la polyvalence, car nous serions pratiquement les seuls à changer de métier plusieurs fois par jour.

La prospective n’est pas oubliée. Si les CFCB ne sont pas encore directement menacés, la loi LRU les conduit à s’inscrire dans de nouvelles logiques, où il n’y a plus de tabous sur les dotations financières. Les centres ont de nombreux atouts à faire jouer, en s’appuyant sur leurs domaines de compétences et leur capacité éprouvée d’autofinancement partiel. La situation pourrait être moins défavorable que lors de la première décentralisation des années quatre-vingt, malgré la perte d’influence des administrations centrales. Il semble judicieux pour tenter de peser (un peu) dans ce paysage en évolution, de s’appuyer sur les convergences entre les trois grandes filières : archives/bibliothèques/documentation.