Le patrimoine numérique et la médiation culturelle
Françoise Labrosse
L’arrivée du support numérique bouleverse le travail de médiation dans sa conception, sa réalisation et les publics ciblés. Dans le contexte particulier du patrimoine numérique, quelle médiation culturelle devons-nous mettre en place pour assurer l’accès au plus large public possible ? Le 22 octobre 2008, l’Arpel (Agence régionale pour l’écrit et le livre en Aquitaine) et l’AEC (Agence Europe Communication/Agence aquitaine pour la société de l’information) ont organisé à Bordeaux une journée « Patrimoine numérique et médiation culturelle ». Nous en présentons ici quelques interventions.
Les supports des interventions sont disponibles sur le site de l’Arpel *.
L’actualité du numérique
Éric Culnaert (AEC) a présenté les évolutions de l’année. Les grands programmes de numérisation continuent, du côté privé (Microsoft, Google) comme du côté public (Gallica, Europeana), le partenariat des uns avec les autres se renforçant (bibliothèque municipale de Lyon avec Google Recherche de livres), y compris pour la médiation (BM de Toulouse avec le fonds patrimonial Trutat sur Flickr). Les tentatives hégémoniques du privé sont également un levain pour les projets publics. Ainsi en est-il du projet HathiTrust qui voit 23 bibliothèques américaines parmi les plus prestigieuses, par ailleurs engagées dans Google Book Search, déroger au contrat et lancer leur projet d’un réservoir unique.
La mise en place d’un fonds numérique s’appuie sur la possibilité pour l’usager d’intervenir sur ce fonds (avis, tags, annotations personnelles, etc.), de constituer sa bibliothèque personnelle, d’intervenir dans des espaces participatifs, bref de s’éloigner du modèle institutionnel centré sur l’univers du bibliothécaire pour s’axer sur celui de l’usager lecteur et, ce faisant, générer aussi l’animation d’une communauté. La multiplication des sites où une communauté de lecteurs partage autour du livre est en cela révélateur (Babelio en France, Library-Thing, shelfari.com, etc.).
La bibliothèque virtuelle doit offrir de la proximité (les Geemiks de l’ESC Lille), de la disponibilité, développer des services supplémentaires (Guichet du savoir à la BM de Lyon), multiplier les moyens pour permettre à l’usager d’utiliser des données personnelles (création d’une mémoire lecteur). Enfin, il est important d’assurer la continuité entre la bibliothèque et l’usager en proposant des services qui s’appuieront sur les nouveaux supports comme les lecteurs de livres électroniques (Kindle d’Amazon) ainsi que les téléphones portables (Read&Go d’Orange, e-book de SFR).
Face aux difficultés rencontrées par les établissements patrimoniaux qui se sont lancés dans des programmes de numérisation ainsi que pour répondre à ses propres besoins, la Bibliothèque nationale de France (BnF) met en place Spar, Système de préservation et d’archivage réparti qui garantira une conservation sur le très long terme. Dès le départ, ce magasin numérique intelligent, présenté par Frédéric Martin, du service Pôles associés/Gallica de la BnF, a été conçu pour servir également à d’autres acteurs en proposant de nouvelles offres de service, dans un souci de mutualisation des coûts et de partage des savoir-faire. Sa mise à disposition est prévue pour le début de 2009.
Expositions virtuelles
Élisabeth Caillet, responsable du musée virtuel du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, a souligné la spécificité du travail de médiation qui doit permettre à l’individu de s’approprier un contenu « exposé », la nécessité pour y parvenir de proposer des méthodes actives et collaboratives et permettre ainsi à chacun, spécialiste et non-spécialiste, d’apporter sa contribution et la proposer aux autres. L’offre devient plus riche (multiplication des expositions, qui deviennent permanentes), diversifiée, modulable (versions propres à chaque public), avec un nombre accru de services (représentation 3D, vidéos, wiki, cours en ligne, annotations possibles, forums et chats, etc.). L’ensemble de cette production, qui résulte de plus en plus d’une intelligence collective, nécessite en amont un travail important sur les rôles de chacun, ce que l’on cherche à produire et les problèmes que cela pose. La production numérique interroge également sur les conséquences et les illusions d’une proximité et d’une immédiateté. Ne faudrait-il pas inventer de nouvelles fonctionnalités qui permettent de remettre de la distance, du temps différé, de l’altérité, du savoir reconstruit, un musée « lent » qui utiliserait les technologies de l’information et de la communication mais à leur lente manière ?
Anne Broquet a présenté les expositions virtuelles du service des Éditions multimédias de la BnF. Cette production a permis à la BnF de donner une meilleure visibilité à ses collections, de devenir « une bibliothèque de proximité », de s’adresser à un public élargi et d’animer des collectivités de lecteurs. Elle s’est également interrogée sur sa politique de médiation culturelle, sur le cheminement intellectuel du lecteur et sur une pédagogie des pratiques culturelles. Pour capter le lecteur, l’image est première. Il faut créer un univers graphique et esthétique et donc jouer sur les émotions et la séduction tout en utilisant une démarche pédagogique adaptée. L’enjeu est de guider le lecteur, le conduire à des pratiques autonomes en lui proposant des cheminements. Des projets sont en cours : outils collaboratifs pour les communautés de chercheurs et d’enseignants, écriture en réseau, développement du partenariat avec des médiateurs du monde enseignant, artistique et culturel, création d’un site à l’attention des enfants.
Martine Salmon-Dalas, directrice des archives départementales du Lot-et-Garonne, a présenté l’ensemble des services en ligne qu’elles proposent (important fonds de documents numérisés, expositions virtuelles) et plus particulièrement le dispositif à destination des enseignants et élèves du primaire et du secondaire. Aux traditionnelles mallettes pédagogiques réalisées à destination des enseignants, se sont ajoutées leur traduction numérique, les mallettes virtuelles. Avec cet ensemble d’outils et de documents numérisés, l’usager peut se constituer un corpus.