BiblioPat
Officiellement lancée en juin 2006 par un quarteron de responsables de fonds anciens, la liste de discussion francophone BiblioPat a rapidement vu croître son effectif, qui se compte aujourd’hui par centaines – et pratiquement sur tous les continents : si le soleil ne se couche jamais sur BiblioPat, la satisfaction de ses promoteurs s’est d’abord mêlée de surprise, car ils ne prévoyaient pas un tel succès, ni si vite.
Le constat s’est imposé, voici presque trois ans, qu’il manquait une instance élargie d’échange et de concertation relative au patrimoine des bibliothèques, envisagé comme une spécialité professionnelle : le flux très modéré de la liste « Patrimoine-Bibliothèques », destinée, par la Direction du livre et de la lecture du ministère de la Culture et de la Communication, aux seules bibliothèques françaises relevant de sa compétence, ne prenait qu’imparfaitement en compte la diversité des institutions, des collections concernées, des agents en charge de leur traitement. Devenue de facto le vecteur d’une communication officielle, « Patrimoine-Bibliothèques » ne pouvait en effet s’ouvrir au très large éventail de nos préoccupations, ni répondre avec assez de bonhomie fraternelle aux questions basiques, parfois mal formulées, que se posent dans leur travail quotidien les bibliothécaires peu, ou pas, informés des évolutions techniques de la conservation.
Parler en son nom propre
C’est donc un jour du mois d’avril, au beau milieu d’une giboulée, que fut arrêté le principe d’une liste parallèle, assez vite appréciée des animateurs de la première, et fondée sur d’autres visées : car l’objectif prioritaire était bien de rassembler des professionnels d’horizons multiples qui partageaient les mêmes soucis, pour que l’échange de leurs expériences et le débat qui s’ensuivrait puissent perfectionner leurs pratiques ; au-delà de chaque réseau plus ou moins fonctionnel – les bibliothèques territoriales détentrices de fonds anciens, les bibliothèques de recherche, les bibliothèques privées mais ouvertes au public –, il fallait pratiquer une interconnexion profitable à tous, et qui viendrait compléter les circulations internes d’informations.
S’y joignait encore, moins angélique peut-être, mais qu’on ne saurait oublier dans ce rappel succinct, l’intention d’un certain anticonformisme frondeur : il serait excessif d’en parler comme d’une rébellion contre l’autorité – et d’ailleurs laquelle ? – mais il est clair que nous voulions, charpentant les soubassements de cette future tribune virtuelle, donner au discours professionnel sur le patrimoine plus de liberté qu’il n’en avait généralement connu. C’est dans cet esprit qu’ont été diffusés les premiers manifestes produits pour le recrutement des abonnés : il faut croire qu’un tel propos correspondait à leurs attentes, si l’on en juge d’après les réactions très majoritairement favorables qui se sont alors exprimées.
C’est aussi pourquoi chaque intervenant sur la liste est réputé ne parler qu’en son nom propre, sans engager l’institution qui l’emploie, même s’il y fait indirectement référence : un tel préliminaire n’est pas inutile, car les sujets qu’ont abordés certains contributeurs, autour des éliminations notamment, supposaient un franc-parler qui donnait à l’échange tout son intérêt, mais n’aurait pu constituer le message officiel d’un établissement.
De même, sont admis à s’inscrire seulement des bibliothécaires ou archivistes versés dans les questions patrimoniales, quel que soit leur statut, voire des enseignants et leurs étudiants, mais à l’exclusion de tout fournisseur ou prestataire : BiblioPat n’entend devenir l’instrument d’aucune prospection commerciale, et soumet un questionnaire aux postulants pour leur faire montrer patte blanche.
Des aide-mémoire
En complément des archives de la liste, BiblioPat publie par intervalle des aide-mémoire – des « capsules », comme le disent joliment nos collègues du Canada – qui récapitulent par thèmes les bonnes pratiques, et fournissent aux abonnés ce qu’on pourrait appeler des fondamentaux de la conservation : une première série en est disponible depuis quelques mois dans la bibliothèque numérique de l’Enssib.
Cette incarnation professionnelle des tables de la loi constitue l’équivalent d’un trésor de guerre, mais elle vise une matière où régulièrement se produisent des évolutions, de sorte qu’une interactivité renforcée lui donnerait sur le réel une meilleure prise. On imagine ici l’atout que représentera, dès qu’il sera possible de l’adopter, la formule d’un wiki bien administré sur lequel chaque participant serait à même de rapporter ponctuellement son expérience, fournirait la référence d’un produit, commenterait des prestations récentes.
Premières manifestations
BiblioPat a reçu dès sa naissance l’appui très concret de l’Enssib, et porte à cette bonne fée, qui l’héberge parmi d’autres listes de discussions, toute la reconnaissance qu’on imagine ; BiblioPat cependant n’est pas seulement une liste, puisqu’elle s’appuie sur une association du même nom, dont les fins sont délibérément plus générales, mais s’articulent toujours sur la conviction d’avoir beaucoup à dire, et pour le moins autant à recevoir des autres, à propos des collections patrimoniales. Les professionnels inscrits sur la liste peuvent adhérer à l’association, mais il ne s’agit nullement d’une obligation : la démarche doit rester volontaire, car elle suppose chez le nouveau membre l’intention de s’investir plus avant dans les activités collectives.
Les premières manifestations d’une jeune association manquent parfois de panache, pour n’avoir pas encore les moyens de les soutenir ; c’est pourquoi BiblioPat se réjouit d’avoir eu le privilège d’organiser conjointement avec l’Enssib, en 2007 et 2008, les deux premières éditions des Rencontres Henri-Jean Martin, qui s’efforcent de rendre hommage au célèbre historien du livre en stimulant chez leurs participants l’intérêt professionnel pour la conservation et la mise en valeur du patrimoine écrit.
À l’automne 2008, leur deuxième édition vient de s’achever à Villeurbanne, devant un public nombreux et participatif, à qui justement sont réservés dans le programme de longs moments d’échange sur des thèmes d’actualité – cette fois-ci, l’intérêt des mentions de provenance, les rapports avec les chercheurs, les contingences d’une pratique régulière d’expositions : car l’objectif de ces Rencontres, c’est bien de mettre en avant des problématiques d’aujourd’hui, de s’informer réciproquement des progrès accomplis dans chaque région, en un mot de vivifier par le contact et la parole ce large réseau constitué depuis l’ouverture de la liste.
Si, pour diverses raisons, le bilan des Rencontres demeure modeste et nuancé – la persévérance et la répétition, nul n’en doute, fondent le succès d’une telle entreprise et lui garantissent d’atteindre à terme tout le public visé –, rendez-vous est déjà pris pour l’année prochaine, et la formule acquerra, comme dit le poète, des forces en marchant.
D’autres perspectives se font jour dans les programmes de BiblioPat : à l’image d’une journée d’étude organisée à la bibliothèque Sainte-Geneviève, en mai 2008, sur le traitement bibliographique des estampes, de petits groupes rassemblés par l’intermédiaire de la liste peuvent se constituer pour produire et diffuser des recommandations collectives, une fois confrontées les pratiques de leurs participants. Ce pourrait être une façon d’enrichir la collection « Médiathèmes » de l’Association des bibliothécaires de France, comme l’affectueuse proposition nous en a été faite. Disposant désormais de cette communication capitale et rapide que leur offre le développement d’internet, les bibliothécaires spécialisés dans la conservation peuvent se constituer en un réseau professionnel à part entière, qui dépasse les subdivisions administratives : il n’appartient qu’à nous d’en faire un corps dynamique, susceptible de s’administrer lui-même sur les bases d’une réflexion commune, et d’un ensemble de savoir-faire à partager.
Contact : bibliopat@enssib.fr
Novembre 2008