Les bibliothèques départementales et l’accès à la culture et à l’information à l’ère d’internet
Journées d’étude de l’ADBDP
Yves Alix
Périgueux accueillait les 29, 30 septembre et 1er octobre derniers les journées d’étude annuelles de l’Association des directeurs des bibliothèques départementales. L’affluence était particulièrement forte, avec près de 250 inscrits représentant 75 départements, mais on ne démêlera pas si c’était en raison du lieu ou du thème choisi, certes fédérateur, mais au contenu difficile à cerner. En tout cas, ces rencontres, alternant séances plénières et ateliers, auront conforté les « bédépistes » dans la conviction de la nécessité d’adapter les pratiques et les offres proposées aux publics, en profondeur et sans délai.
Internet et la fréquentation
Internet change-t-il la donne, pour des bibliothèques confrontées à la fois à la stagnation des publics, à la « raréfaction des ressources budgétaires » (ah, qu’en termes galants…) et aux nouveaux modes de consommation culturelle ? Le premier invité à donner des éléments de réponse, Bruno Maresca (Crédoc), s’appuya sur quelques résultats significatifs de l’enquête Crédoc/BPI, désormais bien connue des professionnels, pour essayer de cerner la part d’internet dans les évolutions les plus récentes de la lecture publique. Si 35 % des Français de plus de quinze ans déclarent fréquenter une bibliothèque, la part des fréquentants non inscrits ne cesse de croître, tandis que celle des inscrits, utilisateurs des services de base comme le prêt de documents, stagne. La volatilité des publics est très forte (37 % des sondés se disent « anciens usagers », et une bibliothèque publique perd en moyenne chaque année autant d’inscrits qu’elle en gagne) et les profils d’usagers instables. Si le nombre de lecteurs de livres ne faiblit pas, la stabilisation du nombre de grands lecteurs, qui était depuis plusieurs années en forte régression, donne à penser que la présence du livre reste un facteur déterminant dans les ressorts de fréquentation *.
Internet, souligne Bruno Maresca, ne détourne pas des bibliothèques, mais ralentit la fréquentation. Vue comme mono-fonctionnelle, la bibliothèque subit en effet la concurrence d’un vecteur d’information à la fois informel, souple, disponible en permanence et polyvalent. Internet s’impose dans la fonction d’outil de recherche. Pour autant, l’image des bibliothèques reste positive dans le public, et l’élargissement de l’offre a encore accru leur attractivité. Si la diversité des usages est stimulée et si des efforts nouveaux sont faits pour favoriser la démocratisation des publics, aujourd’hui en panne, les bibliothèques ont donc des atouts en main pour conserver demain toute leur place dans le paysage de l’accès à l’information, de la diffusion culturelle et de la formation.
Ressources sur internet
Xavier Galaup (bibliothèque départementale du Haut-Rhin) a fait un tour d’horizon des pistes à explorer pour utiliser toutes les ressources documentaires et informatives de la Toile, dans un contexte médiatisé comme l’est la bibliothèque publique. Le développement du web dit participatif ou inscriptible (le web 2.0) offre aux internautes à la fois souplesse (on peut écrire, communiquer, créer très facilement et à coût quasi nul), solidarité (à travers les réseaux sociaux, par exemple) et possibilités de partage. Aux bibliothèques d’en tirer parti pour proposer de nouvelles ressources et de nouveaux services, dans un contexte de valorisation susceptible de séduire les publics, à commencer par les plus jeunes : téléchargements (payants ou gratuits), contenus créés avec les publics (wikis, blogs, forums), médiations des collections (catalogues enrichis, suggestion et recommandation, mise en scène des contenus, échange et coopération professionnelle), mise à disposition d’outils, de services de référence et de questions-réponses, d’espaces numériques personnels. Comme d’habitude, le propos de Xavier Galaup, illustré de très nombreuses images de sites, était roboratif, volontariste et décomplexé : il faut faire entrer les bibliothèques départementales dans le flux, coopérer, disséminer la bibliothèque plutôt que vouloir la recentraliser, veiller et « penser multimédia ».
Enquêtes, tables rondes et ateliers
On revenait sur terre – ou plus simplement sur le terrain – avec les retours sur les enquêtes menées à l’occasion de ces journées d’étude. Présentant celle commandée par l’ADF, l’Assemblée des départements de France, Stéphane -Wahnich (SCP Communication) souligna l’hétérogénéité des bibliothèques départementales, aussi bien dans leur périmètre de fonctions et de services que dans leur rapport avec internet et les ressources en ligne. Insistant sur l’importance fondamentale du territoire – conviction évidemment partagée par l’assemblée – et le rôle des élus, il a souligné les risques potentiels de l’écart entre le réflexe local et le caractère non localisé d’internet : comment intéresser un public internaute à des services aussi marqués par leur ancrage local que les BDP ? Comment, à rebours, relier l’offre d’information de la Toile à la réalité locale et aux besoins de publics géographiquement déterminés ?
Est-ce à cause de la difficulté à résoudre de tels paradoxes, en raison d’un retard de formation et de sensibilisation, ou faute d’un engagement clair des tutelles ? En tout cas, comme l’a montré Alain Duperrier (bibliothèque départementale de la Gironde) dans sa présentation de l’enquête menée en interne au sein de l’ADBDP, l’investissement des bibliothèques départementales dans les projets numériques est encore très faible. L’exercice, qui tenait à la fois de l’auto-flagellation et de la maïeutique, permit de faire passer à la salle, mi-interloquée mi-complice, un message de prise de conscience utile.
À l’issue de la première journée plénière, des ateliers ont permis, le mardi matin, de découvrir et d’analyser les pratiques possibles, du catalogue à la formation, de la musique en ligne aux espaces publics numériques.