Les estivales
Laurence Tarin
L’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques a pris l’heureuse initiative d’organiser, les 7 et 8 juillet derniers, une manifestation baptisée « Les Estivales ». Ces Estivales permettront de faire chaque année le point sur les recherches en cours sur les bibliothèques. Elles seront aussi l’occasion – c’est un objectif clairement affiché – d’une réflexion sur l’actualité professionnelle.
Actualité de la recherche
L’après-midi du 7 juillet était consacré à des travaux scientifiques relevant de différentes disciplines, une approche pluridisciplinaire s’imposant pour rendre compte de la réalité de la recherche dans le domaine des bibliothèques.
Martine Poulain (Institut national d’histoire de l’art) a tout d’abord présenté les résultats de son travail sur les bibliothèques françaises sous l’Occupation 1. Elle s’est interrogée sur le rattachement de cette tranche de l’histoire des bibliothèques à celle de l’histoire culturelle. Elle s’est demandée comment des fonctionnaires tels que les bibliothécaires avaient continué à assurer leurs missions dans un contexte où la censure sévissait et où les établissements culturels étaient clairement instrumentalisés par l’occupant allemand. Elle aborde la question du fonctionnement des bibliothèques institutionnelles sous le régime de Vichy, consacrant une part importante de son étude à la Bibliothèque nationale qui a été dirigée par un collaborateur. Elle évoque également l’évacuation des collections vers la zone libre, véritable épopée. Elle traite enfin du cas des bibliothèques privées des familles juives qui ont été spoliées, comme leurs collections d’œuvres d’art. Cette recherche se fonde sur l’analyse d’archives et sur quelques interviews.
Isabelle de Conihout (bibliothèque Mazarine) et Raphaëlle Mouren (Enssib, en l’absence d’Isabelle Westeel) ont ensuite exposé les travaux en cours sur la reconstitution virtuelle de la collection de Nicolas Fabri de Peiresc. Cet érudit du xviie siècle qui nous a laissé une riche correspondance possédait une très belle bibliothèque. Il en existe des inventaires (conservés à Carpentras et à Aix-en-Provence), mais elle a été dispersée après sa mort. Il s’agit donc de la recomposer avec les moyens informatiques dont nous disposons aujourd’hui. Le format XML TEI est utilisé pour comparer les notices d’origine des deux inventaires à celles de catalogues contemporains. Cela permettra de développer un outil qui pourrait être exploité pour reconstituer d’autres bibliothèques.
Denis Merklen, sociologue de l’université Paris-VII, réalise une enquête sur les bibliothèques prises pour cibles lors des émeutes qui ont eu lieu dans la banlieue parisienne en novembre 2005. On se souvient en effet qu’en 2005 un certain nombre de bibliothèques ont fait l’objet de violences (tags, jets de projectibles mais aussi incendies). Il propose une lecture politique de ces événements et s’interroge sur ce qui est attaqué : un joli bâtiment qui s’inscrit dans un projet de rénovation urbaine dont certains habitants ne veulent pas ou l’institution bibliothèque en tant que telle ? Cela l’amène à s’interroger sur les rapports des jeunes ayant commis ces violences avec la culture, sur ce que représentent les bibliothèques pour eux et sur la nature de la mémoire qui est transmise par une bibliothèque publique aujourd’hui.
Anne-Marie Bertrand (Enssib) a, quant à elle, présenté un programme de recherches sur l’identité de la bibliothèque publique qui se déroule dans le cadre d’un séminaire du centre Gabriel-Naudé. Il s’agit de questionner ce modèle de bibliothèque publique qui est reconnu par les bibliothécaires mais pas forcément par les personnes extérieures à la profession et qui semble s’essouffler depuis quelque temps. L’année 2006-2007 a été consacrée à une réflexion sur ce qui constitue ce modèle, l’année 2007-2008 à des recherches sur la place de la bibliothèque dans les politiques publiques et il est prévu en 2008-2009 de travailler sur le modèle à venir. Les travaux présentés lors des différentes séances du séminaire seront publiés à l’automne 2008, une dizaine de contributions sont attendues. Elles traiteront, entre autres, de la différence entre les conceptions catholique et protestante de la lecture, des influences étrangères sur la construction du modèle de bibliothèque française, de la place des usagers et des collections dans ce modèle et du rôle social de la bibliothèque.
Enfin, Gérard Régimbeau (Enssib) a conclu cette première journée par un exposé intitulé « médiations iconographiques » qui abordait sous un angle nouveau les questions de l’indexation et de l’analyse documentaire des œuvres d’art.
Actualité professionnelle
LRU, Lolf, RGPP 2 et autres sigles barbares obligeant, ce sont les mutations du rôle de l’État qui étaient à l’honneur lors de la séance sur l’actualité professionnelle. La journée s’est ouverte sur une intervention de Michel Marian (Sous-direction des bibliothèques et de l’information scientifique), qui a parlé de l’impact de la LRU sur les services communs de la documentation et encouragé les directeurs de bibliothèques universitaires à s’intégrer dans les projets stratégiques de leurs universités.
Daniel Renoult, doyen de l’Inspection générale des bibliothèques, a ensuite évoqué l’étude en cours sur la mise à disposition de conservateurs d’État dans les bibliothèques municipales classées. Plusieurs scénarios, dont l’élaboration d’une nouvelle carte de répartition des emplois et une globalisation de l’aide du ministère de la Culture et de la Communication aux villes en matière de livre et lecture, sont envisagés.
Bruno Suzarelli, inspecteur général des affaires culturelles, a, quant à lui, présenté la réorganisation du ministère de la Culture en trois grandes directions : la Direction générale des patrimoines de France, la Direction générale de la création et de la diffusion et la Direction générale du développement des médias et de l’économie culturelle à laquelle le livre et la lecture ont été rattachés.
Enfin, la politique de coopération de la Bibliothèque nationale de France a été exposée par Aline Girard. Elle a évoqué en particulier la nécessité de structurer et de hiérarchiser les pôles associés et souligné l’importance que la BnF accorde à la coopération régionale.
Ces premières « Estivales », lieu de rencontres et de libres discussions, ont rassemblé un public nombreux et très impliqué. La richesse des débats qui ont fait suite aussi bien aux interventions des chercheurs qu’à celles des représentants des différentes institutions en té-moigne.