La restauration du patrimoine écrit : regards croisés
Journées Patrimoine écrit 2008
Alfred Caron
La médiathèque José-Cabanis de Toulouse accueillait les 25 et 26 septembre dernier la 4e édition des « Journées Patrimoine écrit » en région, consacrées cette année à la « restauration du patrimoine écrit et graphique ». Dans son mot d’accueil, Jean-Marc Bares, maire adjoint délégué aux bibliothèques, soulignait le caractère judicieux du choix de Toulouse, qui possède un remarquable patrimoine écrit 1 et s’est dotée dès 1950 d’un véritable atelier de restauration, Erasme (Ensemble de restauration et d’aide à la sauvegarde de la mémoire écrite). En introduction, Nicolas Georges, directeur adjoint du livre et de la lecture, soulignait l’importance que sa direction attache à ces Journées au moment où le rattachement de la DLL à une direction élargie peut laisser craindre une réduction de moyens, réaffirmant son attachement au dispositif de mise à disposition des conservateurs d’État dans les bibliothèques municipales classées, sous réserve de la redéfinition de leur rôle, au regard du patrimoine.
Pratiques et enjeux
La première matinée était consacrée aux « pratiques » et aux « enjeux ». Jean-Marie Arnoult dressa un panorama historique de l’évolution de la restauration depuis la création, en 1859, de l’atelier de traitement des livres de la Bibliothèque nationale, montrant comment, dans l’esprit des bibliothécaires, la restauration du livre avait très longtemps consisté dans une remise en état pragmatique qui en respectait rarement l’identité et l’histoire. Avec la création, en 1963, du Centre de recherches sur la conservation des documents graphiques avait émergé le concept de « restauration », envisageant une approche plus respectueuse de la valeur archéologique du document. Le traumatisme de la crue de l’Arno de 1966 avait fait prendre conscience à la profession de la nécessité de formaliser les procédures. Un des problèmes resta longtemps la formation des restaurateurs, souvent des maîtres relieurs peu sensibilisés à la codicologie, au moins jusqu’à la création d’un diplôme dans le cadre de l’Institut national du patrimoine. Après le grand élan des années 1980 autour de la désacidification, l’apparition de la numérisation avait enlevé à la restauration son caractère de « nécessité » absolue et fait émerger le concept de « conservation préventive ». Dans sa conclusion, l’intervenant a souhaité que le prochain manuel de restauration – le dernier remonte à 1992 – se présente comme un manuel de la « non-restauration », la circonspection se révélant parfois la meilleure des réponses face à un document fragilisé.
Après quelques précisions – depuis la salle – d’Isabelle Dussert-Carbone (BnF) sur les ressources en matière d’information sur l’état de l’art, une table ronde confrontait les points de vue d’une archiviste, Marie-Dominique Parchas, insistant sur le caractère massif des campagnes de restauration à la Direction des archives de France, à celui d’une conservatrice de musée, Françoise Collanges, dont la préoccupation première consiste surtout à stabiliser les objets tandis que la restauration est désormais comprise comme un outil de médiation destiné à aider les publics à comprendre l’objet et ses concepts. Matthieu Desachy apportait le point de vue d’un bibliothécaire du terrain sur ses rencontres avec des pièces patrimoniales.
Politiques de restauration
L’après-midi était consacré aux politiques de restauration. François Lenell (DLL) présenta le rôle du Comité technique de restauration dans l’instruction des demandes de subvention. En 2007, 145 dossiers pour 137 documents de 37 établissements ont été examinés. La visée première de cette instance collégiale est l’harmonisation des pratiques. Le CTR envisage de capitaliser son expertise en la valorisant au sein de la base Patrimoine écrit 2.
En suite logique, Caroline Durand, de la direction régionale des affaires culturelles Midi-Pyrénées venait présenter l’action du Fr(r)ab (Fonds régional de restauration et d’acquisition pour les bibliothèques), soulignant combien la part dévolue aux actions de restauration restait portion congrue dans les demandes de subvention des bibliothèques, à peine 3 % du budget total.
Enfin Pascale Milly, de l’Accolad, présenta l’aide que sa structure de co-opération apporte aux bibliothèques de Franche-Comté dans la constitution des dossiers de restauration, l’occasion de valoriser des corpus mal connus, comme cet ensemble de documents réunis dans le DVD Voyages en botanique, édité en 2005.
Ateliers de restauration
La seconde journée permettait d’entrer au cœur même des pratiques avec la présentation d’un certain nombre d’ateliers : ceux de la Bibliothèque nationale de France, de la bibliothèque de la Sorbonne et de l’Institut du livre et des archives de Ludwigsburg, un centre unique en son genre – même en Allemagne – qui dessert six directions d’archives, deux bibliothèques de Land et six bibliothèques universitaires.
L’expérience d’Erasme se révèle particulièrement intéressante. Depuis sa création, l’atelier a restauré environ 1 500 ouvrages et garde accès à une grande partie de ses travaux, ce qui lui permet de revenir sur son expérience et d’évaluer les pratiques. Pour chaque exemplaire soumis à son expertise, l’atelier a constitué un important dossier d’intervention. L’atelier en envisage la numérisation avec 3 000 vues d’ouvrages restaurés qui pourraient constituer le point de départ d’une base de données à mutualiser avec d’autres instances. Déjà, au niveau régional, l’atelier toulousain est à l’initiative de rencontres entre ateliers d’institution et restaurateurs privés.
Thierry Aubry, expert auprès du département de la Conservation de la BnF et professeur à l’Institut national du patrimoine, faisait le point sur l’évolution des techniques de restauration des documents graphiques. Véronique Rouchon (Centre de recherche sur la conservation des collections) présentait ses travaux sur la corrosion du papier par les encres ferro-galliques et les (im)possibilités de traitement des manuscrits de la Bastille, objets de cette étude.
La journée s’achevait sur une table ronde à laquelle participait Dominique Varry, directeur de la recherche à l’Enssib, Corinne Barbe, restauratrice issue de l’INP, Thierry Aubry et Christelle Quillet, conservatrice à la BM de Rouen. Elle montrait combien, plus que de simples prestataires de service, les restaurateurs étaient appelés à devenir – s’ils ne l’étaient déjà – les véritables partenaires de la politique de conservation des bibliothèques.