L’univers de Roald Dahl
Avec la collaboration de Monique Chassagnol, Joëlle Garcia et Françoise Hache-Bissette
Préface de Felicity Dahl
Paris, La Joie par les livres – Centre national du livre pour enfants, 2007, 244 p., ill, 25 cm
ISBN 978-235494-001-0 : 23 €
L’univers de Roald Dahl, tel est le titre des actes du colloque qui s’est tenu à la Bibliothèque nationale de France en octobre 2006 autour d’un des grands maîtres contemporains de la littérature de jeunesse, actes publiés par La Joie par les livres avec le soutien de la BnF et de Gallimard jeunesse, sous la direction de Lucile Trunel et de Jacques Vidal-Naquet.
On pourrait dire de cet ouvrage qu’il ressemble à son sujet : des approches biographiques, des descriptions très concrètes des archives côtoient des études critiques variées et pertinentes – non sans quelque impertinence parfois –, le tout dans une sorte d’immédiateté qui évite la pédanterie et laisse au contraire filtrer l’admiration. C’est véritablement l’univers de Roald Dahl qui s’offre au lecteur dans toute sa diversité. Bien rythmé, le livre aborde, jusqu’à l’exploitation pédagogique, les aspects essentiels d’une œuvre prolixe et multiforme : littérature pour la jeunesse mais aussi pour les adultes, aspects éditoriaux et réception, écriture et éléments graphiques ou cinématographiques, et surtout linguistiques.
L’élément linguistique, le jeu sur le langage est en effet, on le sait, l’une des caractéristiques majeures de l’écriture de Roald Dahl. Aussi est-il intéressant pour le lecteur d’entrer d’emblée dans la langue anglaise, qui fut l’outil de création de l’auteur, à travers une évocation, à la fois simple et émouvante, de Felicity Dahl, puis de trouver ensuite, tout au long de l’ouvrage, dans leurs versions originale et française les communications prononcées en anglais lors du colloque.
Autour de la thématique linguistique, Claude Ganayre évoque le rire et les jeux carnavalesques, tandis que Sylvaine Hughes montre l’importance de la tradition verbale des nursery rhymes. L’écriture et la langue, c’est aussi le jeu avec les références, avec une intertextualité que Gilles Béhotéguy met en valeur à travers les lectures de Matilda, l’une des deux figures féminines auxquelles il s’attache. Mais il y a également le travail de traduction qui conditionne la réception de l’auteur, comme le montre Carol Chia-Yen Ku pour les versions de Charlie et la chocolaterie publiées à Taïwan, ainsi que le plaisir gourmand de triturer les mots pour retrouver la saveur de l’original évoqué par Marie Saint-Dizier, l’une des traductrices en français.
L’oralité, c’est aussi la nourriture, si présente chez Roald Dahl et fréquemment évoquée dans les contributions, notamment dans celle de Monique Chassagnol qui opère un passage du chocolat à la question de la moralité, plus complexe à son avis qu’il n’y paraît. C’est cette même problématique morale qu’aborde l’article de Michelle Cheyne autour de l’acquisition de compétences de lecture, et donc de la valeur pédagogique et formatrice d’une œuvre qui enthousiasme le jeune public et gêne souvent les adultes. Virginie Douglas creuse à son tour la question de cette ambivalence, « entre consensus et controverse », d’une œuvre « excessive », et s’interroge sur sa tendance – qui peut être taxée de démagogique – à exploiter les instincts enfantins les plus régressifs tout en gardant le contrôle sous couleur de subversion, ainsi que sur les traitements infligés au corps, discutables sur le plan idéologique. Mais Florence Gaiotti montre, à travers sa contribution qui envisage également l’œuvre pour les adultes, à quel point ce motif du corps est véritablement obsessionnel chez Roald Dahl, étayé par des éléments biographiques décelant des blessures profondes, et comment il débouche dans les nouvelles sur un fantastique parfois glaçant et naturellement étranger à tout propos moral.
Bref, Roald Dahl ne se laisse pas enfermer facilement dans le cadre commode du bon auteur de littérature de jeunesse prêt à l’emploi pédagogique, c’est du moins ce qui ressort des contributions consacrées au rapport délicat de l’œuvre de jeunesse et de l’école : si le Bon Gros Géant peut être moteur de fantaisie musicale, comme le montre Claire Delbard, l’ensemble de l’œuvre risque d’être un peu rogné par une exploitation par trop formaliste des textes que dénonce Jean-Michel Pottier, ou bien utilisé comme prétexte pour des objectifs pédagogiques qui ne prennent pas réellement en compte sa valeur intrinsèque, comme cela apparaît dans la présentation de Catherine d’Humières.
Mais si Roald Dahl est devenu un classique contemporain, c’est justement en raison de la complexité de ses propos et de son écriture. On retrouve ainsi dans ce livre le poids d’un homme aperçu à travers l’évocation, présentée par Liz Williams, de son cabinet (plutôt une cabane) de travail et de ses archives et papiers personnels. On y retrouve la richesse d’un imaginaire qui a su si souvent solliciter les images d’autres créateurs : celles de Quentin Blake par exemple, qui montre avec humour les aspects de sa collaboration avec l’auteur et ses textes ; celles des films de Mel Stuart et Tim Burton inspirés par Charlie et la chocolaterie, que présente Lance Weldy.
Finalement les liens particuliers de Roald Dahl avec le cinéma offrent à Vincent Chenille l’occasion d’évoquer sa carrière de scénariste, apportant une pièce de plus à ce puzzle d’approches diverses qui parviennent à constituer un portrait sensible mais exigeant d’une des figures majeures de la littérature contemporaine pour la jeunesse.