Mignonne, allons voir…
Fleurons de la bibliothèque poétique Jean-Paul Barbier-Mueller
Nicolas Ducimetière
Paris, Hazan, 2007, 536 p., ill., 32 cm
ISBN 978-2-7541-0203-2 : 59 €
Jean-Paul Barbier-Mueller, fondateur à Genève du musée qui porte son nom, n’est pas seulement l’un des plus grands collectionneurs au monde d’œuvres et d’objets des arts premiers 1, il nourrit aussi une passion pour les poètes de la Renaissance française. Le catalogue scientifique et bibliographique du fonds exceptionnel qu’il a réuni est en cours de publication chez Droz 2. À l’instar de ce qu’il avait fait avec les collections du musée en présentant un florilège de ses plus belles pièces, il a décidé de réunir dans une exposition les chefs-d’œuvre les plus significatifs de sa bibliothèque poétique, et en a confié le commissariat à Nicolas Ducimetière, conservateur responsable du fonds. Le somptueux volume que publie Hazan est le catalogue de cette exposition 3. C’est sans doute, n’hésitons pas à le dire, ce qu’on peut faire de mieux aujourd’hui pour présenter dans un livre des reproductions… de livres, de textes manuscrits, de pages de titres et de reliures – ce qui est un exercice difficile, et même parfois ingrat. D’un côté, une parfaite rigueur scientifique, pour présenter les 142 notices du catalogue, qui nous font aller de Ronsard à Malherbe, après un prologue (le no 1) consacré au Canzoniere de Pétrarque, dans l’édition imprimée de 1472, exemplaire Gradenigo, avec une belle reliure de 2006 en maroquin noir de Jean-Luc Honegger. De l’autre, la très grande qualité des reproductions en couleurs, la plupart en pleine page, et l’élégance de la mise en page. Si Nicolas Ducimetière ne nous laisse rien ignorer des circonstances qui ont présidé tant à la naissance des œuvres qu’à l’histoire de leurs éditions, dans des notices érudites, précises et parfaitement documentées, son érudition n’est jamais lourde et la lecture reste constamment agréable (et instructive, ô combien !) même pour le profane.
Le livre est découpé en sept chapitres, précédés d’une introduction qui retrace l’histoire de cette collection singulière, et de la présentation du Pétrarque mentionné ci-dessus. À tout seigneur tout honneur, Ronsard ouvre le bal, suivi de ses « compagnons de la Pléiade » (Du Bellay, Pontus de Tyard, Du Baïf, Belleau – le « Maître Belleau » d’« À une mendiante rousse » ?) et des « Enfants des muses » (Labé, La Boétie, Desportes, jusqu’à Marc Papillon de Lasphrise, curieux rimeur naguère célébré dans l’Anthologie des poètes délaissés). Trois chapitres thématiques nous ouvrent successivement aux « Saisons de la vie », à « Poésie et Réforme » et aux « Rimes en guerre ». La dernière partie ouvre sur le XVIIe siècle, de Sponde à Malherbe.
Et la Mignonne du titre (ou, pour être plus exact, la célébrissime « Ode à Cassandre », de Ronsard) ? Elle est page 43. « Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle » du même (Sonnets pour Hélène, Livre II, sonnet 24), page 83. Et « Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage » (Du Bellay, Regrets) page 126. Je le signale aux gens pressés et à ceux qui, comme moi, en sont restés au Lagarde et Michard de leur adolescence et n’ont depuis constitué que des collections de livres de poche, d’ailleurs jaunis…
N’ayons pas de regrets, à la différence du poète : il est déjà bien de pouvoir, quelques instants, jouir de la beauté possédée par d’autres…
Bref : un ouvrage indispensable pour tout fonds littéraire consacré à la Renaissance, toute collection consacrée à l’histoire du livre et de l’édition… et tout fonds de poésie. Et pour l’amateur comme pour le spécialiste, un album qu’on ne se lasse pas de feuilleter, un merveilleux livre d’images et de mots. À un prix qui, somme toute, peut être considéré comme raisonnable.