Désherbage et conservation partagée
Odile Grandet
La journée « Désherbage et conservation partagée » organisée par Médiadix le 15 avril 2008 est ouverte par Claudine Lieber (coauteur de Désherber en bibliothèque : manuel pratique de révision des collections), qui dresse à l’intention du public, plutôt clairsemé, un historique de l’introduction du désherbage dans le vocabulaire et les pratiques des bibliothèques françaises.
C’est dans le contexte particulier de la Bibliothèque publique d’information (BPI) ouverte en 1977, cette bibliothèque sans magasins ni magasiniers, que le désherbage arrive en France, ramené dans ses valises par Francoise Gaudet au retour d’un stage dans les bibliothèques américaines. Michel Melot, alors directeur de la BPI, est enthousiasmé par la lecture du rapport de stage et pousse à la publication. En 1986, les éditions de la BPI publient un dossier technique sur le sujet qui sera un véritable best-seller 1.
On pourrait penser que l’essentiel est passé : que de pratiques honteuses et clandestines, on est passé à une pratique réfléchie et assumée. Il n’en est rien, nous dit Claudine Lieber : si le dossier a été un succès – photocopié, traduit, pillé – les bibliothécaires continuent de détester parler de désherbage : dans certains milieux (universitaires en particulier), le sujet est même totalement tabou.
Excès ou refus
L’évolution de la pratique depuis la publication du dossier technique, dévoile deux courants – excès ou refus – qui parallèlement font courir aux collections le risque d’un même manque de réflexion : risque d’autant plus grand que les modifications du contexte législatif sont importantes et méconnues (réforme du Code du patrimoine 2 et réforme du dépôt légal 3). Le désherbage nécessite une vraie culture générale et ne doit en aucun cas se traiter en urgence, notamment pour les fonds de la fin du XIXe et du XXe siècle. Le contexte général de la conservation en France, au niveau du territoire, n’est pas bon, et l’est de moins en moins depuis que le dépôt légal éditeur est passé de quatre à deux exemplaires, et le dépôt légal imprimeur de deux à un : la conservation absolue n’existe même pas au niveau du schéma directeur. La conservation partagée est organisée en France sur un mode disciplinaire qui laisse forcément des trous, contrairement au système britannique qui repose sur une collecte alphabétique.
C’est sur cette alerte que Claudine Lieber termine son intervention à laquelle elle ajoute deux « notes de bas de page » :
1. La deuxième édition de Désherber en bibliothèque : manuel pratique de révision des collections, éd. du Cercle de la librairie, 1999, n’est pas épuisée, mais sa partie juridique est totalement obsolète.
2. Dans le nouveau Code du patrimoine, n’appartient plus au domaine public mobilier que « l’ancien, le rare et le précieux », suivant la formule vague du législateur.
La collection est un flux
L’intervention suivante attaque le problème d’un point de vue pratique : comment désherber sans détruire, se demande Dominique Lahary (directeur de la bibliothèque départementale du Val-d’Oise) ? Si la nécessité de faire respirer les collections en libre accès n’échappe à personne – « la collection est un flux » –, cette nécessité conduit sans échappatoire à celle de la destruction, dès lors que le bâtiment ne comporte pas d’espace de relégation (des magasins) et si aucun plan de conservation partagée n’est mis en place. Or la destruction au niveau local (et donc au niveau d’une collection singulière) n’a aucune chance d’être pertinente. Dominique Lahary pense la théorie de la longue traîne tout à fait pertinente par rapport aux collections de bibliothèques (il existe de fait une demande très diversifiée, des niches) et en tire les conclusions : pour pouvoir satisfaire l’usager dont la demande est très spécifique, il faut mettre sur pied une logistique – très physique – de récupération et de stockage.
François Ossent présente ensuite le service des échanges de la ville de Paris. Conçu comme une réserve de premier niveau pour les bibliothèques du réseau parisien, ce service, appelé Réserve centrale, propose en prêt des ouvrages qui ne sont plus en libre accès dans les bibliothèques parisiennes (bibliothèque visible/bibliothèque invisible) : cette réserve qui fait jusqu’à 5 000 prêts par mois est une solution pour résoudre les demandes -diversifiées dans un contexte où les mètres carrés et, par conséquent, les collections mises à disposition du public sont rares.
Le modèle de conservation partagée proposé par Guy Cobolet (directeur de la bibliothèque interuniversitaire de médecine) est axé sur les publications périodiques de médecine. Ciblé et pragmatique, il pourrait préfigurer des schémas nationaux de conservation. Seul bémol, Guy Cobolet signale la difficulté à mettre en œuvre l’élimination (une fois assurée la conservation)...
La journée s’est terminée par l’évocation de la question de la conservation des fonds jeunesse, dont les partenaires sont multiples. La difficulté ici repose sans doute davantage sur la nécessité de cibler les objectifs entre la conservation pure et les usages particuliers des professionnels. L’intervenante conclut sur la même injonction que Claudine Lieber, à savoir la nécessité de former.
En conclusion, la salle exprime le vœu de voir organiser de nouvelles journées d’étude… portant sur les politiques documentaires. La boucle constituée par cette demande n’est pas le moindre paradoxe de cette journée. Dans ce cadre particulier d’une économie – celle du livre – qui vit sur la destruction (le pilon), dans un contexte de civilisation où l’objet livre est sacré, mais où les politiques publiques sont atones, et donc les projets de conservation partagée toujours remis à des lendemains qui chantent, le responsable de collection risque de continuer longtemps à désherber sous le manteau en essayant de transférer à plus pauvre que lui l’objet de ses relégations.