Des bibliothèques du passé aux bibliothèques du futur

14e séminaire du groupe Architecture de Liber

Bernadette Patte

Le 14e Séminaire du groupe Architecture de Liber s’est tenu du 8 au 12 avril pour partie à la Bibliothèque nationale Széchényi à Budapest, pour partie à l’université de Debrecen et portait le titre : « Building on Experience : Learning from the Past to Plan for the Future ».

En guise d’introduction, Graham Bulpitt (université de Kingston, Londres), a planté le décor en mettant en regard l’importance fondamentale du secteur de l’enseignement supérieur en Europe, les attentes des étudiants et des chercheurs et l’organisation de nos bibliothèques. D’emblée, il a pointé la nécessaire évolution des contenus plus orientés vers les utilisateurs, et des espaces moins centrés sur les collections et davantage sur les espaces de travail. Ce qui implique pour les professionnels une vision prospective dans l’organisation des espaces de bibliothèque ainsi qu’une veille attentive sur les évolutions technologiques et les attentes des usagers.

Les leçons du passé

En réponse à la question « avons-nous réussi nos projets de construction et de réaménagement de bibliothèques universitaires dans les dix dernières années ? », Marie-Françoise Bisbrouck (SCD de l’université de Paris-Sorbonne) a livré les points marquants de l’enquête qu’elle a réalisée auprès de collègues impliqués dans des projets de construction de 2000 à 2008. Cette enquête a permis également de mesurer les évolutions par rapport à la première enquête qui concernait la période 1992-2000.

La réponse est dans une grande mesure positive en ce qui concerne la qualité des bâtiments, lumineux pour la plupart, reconnus comme signe architectural fort au sein des campus, et l’organisation des espaces, plus lisibles, plus confortables. Comme points négatifs, il faut mentionner le trop faible nombre de salles de travail en groupe, le manque de personnel, le cloisonnement de certaines bibliothèques dans les centres universitaires et des problèmes techniques récurrents (ventilation, air conditionné, infiltration des façades, traitement du bruit).

Les exemples de la bibliothèque universitaire de Varsovie et de la Bibliothèque nationale de France ont prolongé cette réflexion sur l’évaluation des bâtiments avec un recul d’une dizaine d’années, la première en mettant en avant l’augmentation de tous les indicateurs d’usage (circulation, visites, nombres d’inscrits) et confirmant ainsi le net succès rencontré auprès des utilisateurs et l’autre en plaçant dans une perspective dynamique ce qu’il reste à accomplir dans la prise en compte des questions environnementales, d’adaptation à l’environnement urbain, de fonctionnement des services au public, et d’amélioration des conditions d’accès au bâtiment.

La prise en compte de l’environnement

Des enseignements sont aussi à tirer des réalisations de bibliothèques « vertes ». Les exemples de la nouvelle bibliothèque de l’Agence fédérale pour l’environnement à Dessau et de la bibliothèque Lanchester de l’université de Coventry démontrent bien que la mention « écologique » n’est pas seulement une étiquette mais implique des objectifs précis et mesurables aussi bien dans l’organisation des services internes que dans l’infrastructure de l’établissement et la conception des espaces de lecture. La bibliothèque Lanchester, officiellement ouverte en 2004, est pionnière en la matière : l’utilisation de la ventilation et de la lumière naturelles y est particulièrement remarquable. De plus, elle décline le terme « flexibilité » aussi bien dans l’organisation des espaces, que pour le câblage et le mobilier.

En France, la bibliothèque Robert-de-Sorbon de l’université de Reims est la première réalisation avec l’étiquette « Haute qualification environnementale » pour le traitement de la lumière, de l’acoustique, du confort intérieur et des déchets.

Le nécessaire dialogue avec les architectes

La question de la lumière a fait l’objet d’une session à part entière : Raymond Belle en a démontré le pouvoir en s’appuyant sur trois réalisations, la BnF, la BMVR de Troyes et la bibliothèque Serpente de l’université Paris-Sorbonne.

Quant à Marina Vio (université de Padoue), elle a magistralement planté le décor entre les différents acteurs impliqués dans le phénomène de la vision – la lumière, l’esprit humain et les surfaces – et a rappelé l’importance de la latitude dans le traitement de la lumière dans les bâtiments, ainsi que la nécessité de contrôler les composants directs que sont le soleil et le ciel pour une conservation efficace des documents.

Des leçons sont aussi à tirer du travail en collaboration avec les architectes et du nécessaire dialogue à établir, ainsi que l’ont montré les comptes rendus d’expériences autour du projet de rénovation de la bibliothèque Dauphine et dans la conduite du projet de la bibliothèque Jordi-Rubió-i-Balaguer en Catalogne : poser les bonnes questions, confronter la vision de l’architecte à celle du bibliothécaire, dialoguer pour ajuster la vision de chacun et éviter ainsi distorsions et incompréhensions souvent irréparables.

Programmer le futur : quels nouveaux modèles ?

Les Watson (Saltire Centre, Glasgow Caledonian University) part du constat que l’organisation des espaces de bibliothèque est davantage conçue en fonction des opérations bibliothéconomiques à accomplir que fondée sur l’observation des pratiques de travail des étudiants. C’est une nécessité absolue d’être imaginatif au sujet des espaces de travail et de remodeler les bibliothèques pour les ajuster à ces nouvelles pratiques. C’est-à-dire prévoir plus d’espaces de travail, et optimiser les services rendus. Ce qui est déjà une réalité à la bibliothèque de l’université de Karlsruhe : à la faveur de l’extension de la bibliothèque existante, les services ont été totalement repensés.

La bibliothèque est ouverte durant 24 heures, sept jours sur sept. Le système RFID permet une identification automatique des usagers et un contrôle de l’accès après 19 h. Il permet également le payement des impressions et la gestion des vestiaires. Les services pendant l’ouverture de nuit sont limités à l’accès avec la carte d’identification. Il n’y a donc pas de renseignement bibliographique ni de prêt de documents situés en magasin. Cette « nouvelle » bibliothèque connaît un succès massif auprès de la communauté étudiante : la fréquentation s’est accrue de façon significative, 25 000 à 35 000 visiteurs par semaine, 3 000 par jour et 1 000… de nuit.

En conclusion, le succès des nouveaux bâtiments est avéré, les étudiants plébiscitent des lieux spacieux, lumineux et adaptés à leurs besoins. Programmer le futur, c’est donc résolument continuer à construire des bibliothèques, les aménager, les agrandir. C’est s’appuyer sur l’expérience mais aussi accompagner, si ce n’est devancer, le changement : environnement numérique de travail, nouvelles attentes des étudiants, prise en compte de la question environnementale, autant de défis à relever pour bâtir les bibliothèques du futur.