Jack Lang :

une vie entre culture et politique

par Thierry Ermakoff

Laurent Martin

Paris, Éditions Complexe, 2008, 419 p., ill., 24 cm
Coll. Historiques
ISBN 978-2-8048-0135-9 : 23 €

Au grand concours des premières de couverture ratées de l’année 2008, l’ouvrage de Laurent Martin, Jack Lang : une vie entre culture et politique, est bien placé pour remporter un prix. Non, mais quel désastre ! On s’attend, en voyant ce produit (comme on dit chez Amazon) à une biographie autorisée, de celle que la grande distribution installe en pile entre celles d’Alain Delon et de Nana Mouskouri ; avec ses lunettes ; voire de Pétula Clark.

Mais il n’en n’est rien : passé ce léger mouvement de recul, précipitez-vous sur cet ouvrage remarquable d’intelligence, d’analyse, et surtout indispensable pour sa portée historique. Il a toute sa place, dans chaque bonne bibliothèque, à côté des publications du Comité d’histoire du ministère de la Culture. Laurent Martin, jeune historien, a organisé et classé, depuis 2001, les archives que Jack Lang a déposées à l’Imec. C’est donc à partir d’un matériau solide qu’il a pu écrire cette biographie qui n’est pas autorisée, au sens où Jack Lang ne l’a pas relue avant publication, et qui n’est ni une hagiographie, ni une immersion un peu voyeuriste dans la vie privée, ni un pamphlet à charge : il faut bien avouer que tout ceci aurait été bien inutile, tant ces non-livres ont éclos comme jonquilles au printemps. Sauf la toute dernière partie (le passage à la mairie de Blois), qui se fonde davantage sur les articles de presse que sur des documents d’archives (mais celles-ci n’étaient sans doute pas déposées), qui reste la moins surprenante, ou la plus connue, tout le reste de l’ouvrage retrace avec précision à la fois la trajectoire personnelle d’un homme de culture, issu d’une famille bourgeoise nancéienne de gauche, et son action politique : du conseil de Paris au ministère de l’Éducation nationale.

Contrairement à certaines idées reçues, Jack Lang a toujours été un homme de gauche, très lié à Pierre Mendès France ; son ralliement à François Mitterrand ne doit donc rien à quelque opportunisme politique. Créant la troupe du Théâtre universitaire de Nancy, qui donnera naissance, en 1963, au festival éponyme, il a su constituer très vite un vaste réseau d’artistes amis dont il tirera beaucoup pour l’action du ministère de la Culture ; nommé par Jacques Duhamel directeur du théâtre de Chaillot, en 1972, quand Planchon voit le TNP arriver à Villeurbanne, il est remercié par Michel Guy en juillet 1974. L’aventure durera deux ans, et elle restera marquante. Jack Lang est élu conseiller de Paris en 1977. À cette occasion, il est un opposant à Jacques Chirac, opposant pugnace, mais admiratif de l’énergie que déploie le nouveau maire de la capitale.

Nous suivons ensuite les vicissitudes subies par les constitutions des ministères Lang 1 et 2. Nul n’ignore que Jack Lang souhaitait un ministère des Affaires étrangères, qu’il n’a jamais obtenu. De la même façon, il a dû, comme Malraux, se battre en permanence pour obtenir, soit le seuil du fameux 1 %, soit l’élargissement des attributions du Ministère, soit l’association aux projets dont il pensait qu’ils étaient culturels (architecture, communication, audiovisuel…). Si le quasi-doublement du Ministère est vite acquis en 1982, c’est avec l’obligation de dépenser les sommes votées ; l’angoisse au Ministère devait être à son comble, certains hauts fonctionnaires doutant même de la capacité à absorber. L’adoption de la loi sur le prix unique du livre, en conseil des ministres du 23 juillet 1981, s’est faite grâce au soutien de… Gaston Defferre ; Jacques Delors et François Mitterrand étant sceptiques quant à l’efficacité, et craignant surtout des effets inflationnistes. Cette anecdote n’en n’est au fond pas une : elle témoigne de la fragilité de la décision politique. Sans le soutien du mari d’Edmonde Charles-Roux, le vote de la loi promise aurait sans doute été, pour le coup, compromis… Ce fait est connu depuis la publication du Prix du livre 1981-2006 : la loi Lang par l’Imec et le Comité d’histoire du ministère de la Culture en 2006.

La place manque pour ne serait-ce qu’évoquer la constitution des différentes directions, leur création ou abandon correspondant à des objectifs politiques qui évoluent, les tensions entre les « grenoblistes » et les « languiens »… la place des Grands Travaux, la Communication, entrée dans le giron de la Culture tardivement, en 1988, qui a beaucoup occupé le ministre, qui n’a jamais vu d’un bon œil la concession de la 5 à Silvio Berlusconi et compagnie, les relations avec François Mitterrand qui, parfois, devait voir arriver le parapheur du ministre avec anxiété ; Jacques Delors avait ses démissions dans la poche, Jack Lang ses artistes…

Cet ouvrage est un premier bilan des années Lang : faites de volontarisme politique, d’un réel libéralisme politique, qui tranchaient avec les années précédentes, faut-il le rappeler (à part le ministère Duhamel), et l’idée que l’action doit et peut venir à bout des situations acquises. Cet ouvrage est un document sur l’acte politique, sur la décision : quand, comment se prend-elle, qui décide ? Qui oriente, à quel prix politique? On savait le premier gouvernement Mitterrand obsédé par l’expérience du Front populaire, et le double souci de marquer de façon irrémédiable et de durer. Jack Lang, à la tête de la Culture, a faite sienne cette préoccupation : d’où l’impression parfois brouillonne des années 1981-1986, dues à cette tentative de résoudre la contradiction.

Au terme de ces actions, restent les insuffisances, ou les échecs : dont la célèbre « démocratisation culturelle ». Jack Lang est atterré devant l’enquête sur les pratiques culturelles des Français de 1997, au point qu’Olivier Donnat craint pour la survie de son service. Alors, après ce premier bilan des années Lang, la question ne semble pas être celle de la disparition du Ministère, mais plutôt celle de son champ d’intervention ; et de la pensée de son action. Jack Lang a été un ministre volontaire et travailleur. Il avait le soutien, parfois ambigu, du président de la République ; comme Malraux. Est-ce que cela suffit pour en faire une théorie ? Et puis, il y a la durée : dix ans, est-ce bien raisonnable ? Jack Lang, on le connaissait bien, au point qu’il était – est ? – devenu le ministre de la Culture de cette fin du xxe siècle débordé. On finissait même par prévoir ses imprévisions.

L’ouvrage de Laurent Martin ouvre de belles perspectives de recherche et, de surcroît, il est écrit avec élégance et style, et beaucoup de pudeur : donc, il se lit en quelques soirées pluvieuses… ou ensoleillées : sur Paris-Plage, ça doit être d’un chic…