Les politiques de lecture et leurs acteurs : 1980-2000
Max Butlen
Coll. Éducation, histoire, mémoire
ISBN 978-2-7342-1086-3 : 36 €
Les lecteurs du BBF ont déjà eu l’occasion de prendre connaissance des travaux de Max Butlen sur les politiques de lecture, soit dans son article « Lire en bibliothèque, lire à l’école 1 », soit dans sa contribution à Regards sur un demi-siècle 2, « De la politique de la lecture publique aux politiques publiques de lecture ».
Cet ouvrage est la publication in extenso de sa thèse et son analyse y est, évidemment, plus développée.
Diverses conceptions de la lecture
L’hypothèse de départ, que l’ouvrage s’applique à conforter, est que ces deux décennies (1980-2000) marquent à la fois un consensus et un changement de paradigme. Le consensus, c’est la nécessité d’offrir à lire, « la rage » d’offrir à lire – consensus qui entraîne une forte croissance de l’offre de lecture. Le dissensus, c’est la/les politiques mises en œuvre : la politique de lecture publique cesse d’être première, l’école réinvestit le champ de la lecture (et non seulement de l’apprentissage de la lecture). À partir de cette grille, sont largement analysés « les objets à lire, les lieux de la lecture, les actions d’incitation et les acteurs ».
L’un des points de divergence est, on le sait, la conception de la lecture que se font enseignants d’un côté, bibliothécaires de l’autre. Ou, plus exactement, le monde éducatif d’un côté, le monde culturel de l’autre. Ces deux décennies voient, en effet, un étrange retournement de situation : au « il faut déscolariser la lecture » que prônaient les militants du plaisir de lire, par opposition (maintes fois évoquée) avec la lecture scolaire, forcément du côté de l’apprentissage, de l’effort et de l’ennui, succède la « scolarisation de la lecture » qui voit l’entrée discrète puis triomphale de la littérature jeunesse à l’école. Les programmes, circulaires, plans-lecture successifs, le soutien aux BCD, sont finement analysés comme un élargissement du « savoir lire » vers l’« aimer lire », donc comme une appropriation par le monde scolaire de la conception culturelle de la lecture. Cette appropriation laisse les bibliothécaires dans une situation un peu fausse : le succès du « paradigme bibliothécaire » les affaiblit paradoxalement.
Divers acteurs
La période étudiée est marquée, écrit Max Butlen, par la multiplication des acteurs dans le champ. Il évoque successivement les professionnels du livre et de la lecture (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires), les « théoriciens de l’offre » (sociologues et chercheurs en pédagogie), les offres ministérielles, avec deux chapitres spécialement consacrés l’un au ministère de la Culture, l’autre au ministère de l’Éducation nationale.
Les arguments, les discours, les représentations des uns et des autres sont analysés longuement. On lira avec intérêt le long développement sur la Fureur de lire et comment elle est décryptée ici : une opération de communication fondée sur la passion, les croyances, le merveilleux (« Un livre et tu vis plus fort »), la rencontre décisive avec un livre, « les récits miraculeux de vie de lecteurs » et l’enthousiasme des bilans.
Les relations et coopérations interministérielles sont analysées en détail, dans l’opportunisme et le pragmatisme des alliances. Pourquoi le ministère de la Culture travaille-t-il étroitement avec le ministère de la Justice et pas avec le ministère de la Jeunesse ? Pourquoi « le ministère de la Culture, s’il est indiscutablement devenu le ministère du livre et des bibliothèques, a du mal à apparaître comme le ministère de la lecture » ? On aurait aimé, ici, un plus long développement sur la brève période où ministère de l’Éducation nationale et ministère de la Culture avaient fusionné.
Divers points forts et quelques faiblesses
On appréciera dans cet ouvrage la riche documentation, tout sur la lecture dans les programmes, circulaires, brochures, textes officiels, etc. On appréciera le regard extérieur qu’un chercheur peut porter sur les bibliothèques. On appréciera les développements sur l’éthique de conviction (« lire, c’est bien ») et la fin du militantisme. On appréciera la finesse de l’analyse. Et les points forts évoqués plus haut.
Mais on pourra aussi évoquer quelques regrets. Le traitement de la période 1981-82 met sans doute trop l’accent sur le changement et pas assez sur la continuité (des objectifs, des acteurs et des procédures). L’évocation de la multiplication des acteurs tourne court ; elle est, finalement, trop restreinte aux deux ministères phares (Éducation et Culture). Rien, ou à peu près, sur les collectivités locales – qui, entre écoles et bibliothèques, sont pourtant des opérateurs de premier plan.
Ces réserves n’enlèvent rien à la richesse et à l’intérêt de cet ouvrage qui deviendra très vite un classique.