Culture de l’information, des pratiques aux savoirs :
8e Congrès de la Fadben
Frédérique Simonot
Le 8e Congrès de la Fadben , Fédération des enseignants documentalistes de l’Éducation nationale, rassemblait plus de 320 personnes les 28, 29 et 30 mars 2008 à l’ENS-Sciences de Lyon. Il soulevait la question des savoirs informationnels qu’exige une véritable culture de l’information, nécessaire à l’exercice de la citoyenneté comme l’avait rappelé le congrès précédent . Ces trois jours permirent d’envisager la nature de ces savoirs et leurs limites, la façon de les enseigner, en relation avec l’évolution des pratiques des jeunes générations, et les perspectives pour les enseignants-documentalistes directement impliqués.
Nouvelle culture ? Nouvelles pratiques ?
Le premier jour fut l’occasion de questionner le concept de culture de l’information : quelle culture dans la société de l’information ? Claire Bélisle, chercheur en psychologie (laboratoire Lire de l’université Lyon-III) chargée de la synthèse des journées, montra le défi à relever pour édifier une culture nouvelle, accompagnant des pratiques informationnelles dans le contexte technologique évolutif : comment ces pratiques influencent-elles l’enseignement lorsque « vacille le rapport stabilisé à la connaissance que le papier symbolise » ? Pour Jean-François Dortier (rédacteur en chef de Sciences humaines), si cette « troisième culture », après la culture académique, puis celle issue de la sphère éditoriale et journalistique, émerge avec internet, elle est produite par les « pronétaires » (Joël De Rosnay, 2006) investissant les outils, blogs, wikis, etc. qui concurrencent le livre ou la presse. Elle semble attaquer les savoirs précédents avec des savoirs populaires, mais ce n’est pas tant une remise en cause de l’autorité scientifique qu’un nouveau rapport aux documents, à l’information. La menace provenant de l’excès, ingérable sur papier comme sur internet, il prône l’humanisation du savoir qui, seule, peut donner la curiosité, le plaisir d’apprendre.
Sylvie Chevillotte (Enssib) rapporta la réalité du concept de culture de l’information au plan international, rappelant des éléments historiques de sa construction (compétence, maîtrise de l’information, formation tout au long de la vie, Information Literacy…) et se référant aux principaux acteurs internationaux tels que l’Ifla et sa section Information Literacy, mais aussi l’Unesco. À partir de la définition d’Information Literacy de Jeremy Shapiro et Shelley Hughes , elle évoqua les différentes facettes de notre rapport à l’information (éthique, cognitif, pratique…) qui rendent le corpus des savoirs difficile à dégager.
La conférence d’Alain Giffard, énarque et spécialiste des technologies de l’écrit, sur la lecture numérique, questionnait l’existence d’une lecture numérique et son implication pour la lecture de l’imprimé. Ainsi, la lecture sur support numérique pourrait rester une lecture classique, tandis qu’une lecture numérique s’apparenterait à une lecture « publique ». C’est le cas des blogueurs pressés de se lire et de se commenter, car le texte sur le web a une destination publique. Par ailleurs, les industries de lecture sont en train de formater les écrits, de commercialiser l’acte de lecture lui-même, devenu temps de marketing. Or, l’État reste en retrait, n’assumant pas la formation indispensable pour maîtriser ces nouvelles technologies. De quoi s’inquiéter pour les nouvelles générations qui développent de nouvelles ignorances face à l’écrit et paraissent perdre l’acte de lecture d’étude – classique – au profit d’une lecture superficielle « véritable catastrophe cognitive ».
Le lendemain, plusieurs tables rondes permirent de poursuivre sur les besoins des jeunes à travers une observation de leurs pratiques. Aurélie Aubert et Olivier Le Deuff, chercheurs en sciences de l’information, et Évelyne Bévort, du Clémi , montrèrent que les « natifs du numérique » ont des pratiques multiples, parfois peu expertes et qu’il est urgent de les former à prendre du recul face à la masse d’informations. L’enquête Mediappro (2006) révèle que les adolescents européens n’identifient pas clairement ce que permet internet, le réduisant souvent aux seuls outils de téléchargement, chat ou blogs. Il faut donc leur donner des connaissances à la fois sur les outils et les sources de l’information, tout en développant leurs compétences collaboratives et leur stratégie de communication personnelle afin qu’ils maîtrisent leurs traces sur le réseau.
Nouveaux savoirs ? Quelle didactique ?
Quelle place pour les savoirs induits par le numérique dans les savoirs scolaires ? Certains participants, tels Jean-Pierre Archambault (CNDP) ou Joël Lebeaume (ENS Cachan), regrettent que l’institution scolaire ait choisi de déléguer à toutes les disciplines la charge de développer ces apprentissages, à l’exemple du B2i (brevet informatique et internet). Sans discipline désignée, comment construire l’enseignement des notions clés ?
La naissance d’une didactique de l’info-documentation était mise en perspective par les membres de l’équipe ERTé , rassemblant chercheurs et praticiens autour de plusieurs questions, du développement curriculaire à la définition d’un corpus de notions, déjà initié par la Fadben. Pascal Duplessis (IUFM de Nantes) appelait à sortir de la « canonique pédagogie documentaire », afin d’arriver à « la formation d’une pensée » pour développer « une compétence intégrative », tandis qu’Alexandre Serres (Urfist de Rennes) plaidait pour une approche large de l’information. Quant à Agnès Montaigne et Nicole Clouet, formatrices à l’IUFM de Rouen, elles illustraient cet effort de didactisation en présentant le travail réalisé sur un corpus de concepts traduits selon le niveau des élèves.
Quels enseignants ?
Muriel Frisch (IUFM de Lorraine), en s’intéressant aux documentalistes de l’enseignement secondaire français, évoqua leurs difficultés à se faire reconnaître malgré la création du Capes. Si leur l’action pédagogique s’est longtemps cantonnée au procédural, n’intervenant que ponctuellement avec les élèves, l’actualité de la profession montre qu’elle revendique, y compris dans la relation d’aide à l’apprenant, la possibilité de construire des savoirs variés. La dernière matinée permit d’envisager des perspectives pour les professeurs-documentalistes qui, selon Éric Delamotte (professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lille-III) doivent participer aux travaux de recherche universitaire qui permettront de faire évoluer leur rôle, pour mettre à jour la didactique de la documentation.