Collaborations Nord-Sud, TIC et bibliothèques
Lise Chapuis
L’Agence de médiation culturelle des pays du Sahel située en Gironde et portée par Safiatou Faure organise à l’occasion de chaque Biennale des littératures d’Afrique noire francophone une journée professionnelle en relation avec la question du livre en Afrique : après le don de livres, le problème de la diffusion des livres, la question de l’oralité, le thème abordé cette année pour la quatrième biennale était encore une fois tout à fait d’actualité, puisqu’il s’agissait de faire le point sur les collaborations Nord-Sud dans le domaine des technologies de l’information et de la communication en relation avec les bibliothèques. La filière Bibliothèques-Médiathèques de l’IUT Michel-de-Montaigne, du pôle des métiers du livre s’est associée à ce projet pour le proposer au titre de son colloque annuel « Profession Bibliothécaire » (le 15e cette année), avec l’Agence régionale pour le livre d’Aquitaine (Arpel) et la bibliothèque municipale de Bordeaux qui l’accueillait dans ses locaux, le 3 avril 2008.
État des lieux
Consacrée à un état des lieux, la matinée s’est ouverte sur une présentation par Florence Gantenay, de la mission de coopération internationale du conseil régional d’Aquitaine, des changements intervenus au niveau structurel dans l’aide internationale à l’Afrique : la multiplicité des acteurs et des contraintes oriente désormais l’aide vers un accompagnement des acteurs locaux et la prise en compte accrue des ressources et capacités sur le terrain. Il s’agirait donc moins d’apporter une aide toute faite que de permettre le choix de l’aide la mieux adaptée, ceci impliquant aussi les technologies de l’information et de la communication.
Mais le tableau global de la situation africaine dans le domaine de ces technologies dressé ensuite par Annie Cheneau-Loquay n’était pas des plus optimistes. Cette géographe, coordinatrice du groupe de recherche international du CNRS Netsuds, a mis en évidence les faiblesses africaines en matière d’internet notamment : manque d’infrastructures locales, certes, mais plus encore manque d’échanges internes sur le territoire africain et dépendance totale vis-à-vis des grands distributeurs internationaux, tous du Nord (pour ne pas dire des États-Unis) et des routages planétaires. Dans le même temps, l’enquête qu’elle a menée montre une sous-utilisation de l’existant, aussi bien en ce qui concerne les infrastructures qu’en ce qui concerne les pratiques des usagers, moins tournées vers l’utilitaire que vers le ludique et les loisirs. La forte inscription sociale des cybercafés en Afrique pourrait orienter vers un rapprochement entre les centres d’accès publics internet et les biblio-thèques au sein de centres culturels, telle est l’hypothèse posée par Annie Cheneau-Loquay.
L’intervention de Céline Ducroux de l’association Culture et développement, centrée sur les bibliothèques et le livre, a insisté sur la prudence nécessaire en matière d’aide : le don de livres fragilisant la production locale, la coopération se tourne d’une part vers le soutien à l’édition, d’autre part vers une meilleure diffusion des livres dans les bibliothèques à travers la formation de bibliothécaires conscients des enjeux de leur métier.
En travaillant pendant quatre ans comme conseiller technique pour un programme de coopération bilatérale autour du livre impliquant la France et la Guinée Conakry, Marie-Paule Huet a pris la mesure de ces enjeux mais aussi des difficultés jalonnant le parcours : mettre en place les conditions nécessaires à l’émergence d’une édition nationale en Guinée Conakry, former des bibliothécaires grâce au partenariat avec des centres de formation (comme Médiaquitaine par exemple), tel a été son effort durant sa mission, même si elle reconnaît que les conditions politiques du pays sont un frein majeur à une évolution favorable dans un pays dont les potentialités économiques sont pourtant grandes.
Fracture numérique et solidarités
L’après-midi, consacrée au thème « Fracture numérique et solidarités », a proposé des exemples de collaboration intéressants. Yolla Polity et Dominique Cartellier, toutes deux maîtres de conférences à l’IUT de Grenoble, ont décrit l’expérience de partenariat menée entre leur établissement et la filière professionnelle « Métiers du livre, des archives et de la documentation » de l’université de Bamako au Mali. Grâce à une plate-forme technique particulièrement adaptée, la création d’un intranet pédagogique permet la mise en commun de ressources et d’échanges pédagogiques au niveau des enseignants, mais aussi de participations et d’échanges impliquant les étudiants. La réalisation se fait pas à pas et les acquis positifs génèrent de nouveaux projets visant à améliorer cette collaboration Nord-Sud.
On s’est ensuite tourné vers le Burkina Faso avec l’intervention de deux membres du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de ce pays : Yves Dakouo a tracé un tableau détaillé des structures et de la situation de l’enseignement du Burkina Faso où un effort est réalisé dans le domaine de l’équipement informatique au niveau de l’enseignement secondaire mais aussi de l’enseignement supérieur et de la recherche, tandis qu’Ousmane Barra présentait le cadre institutionnel et géographique des campus numériques.
C’est justement les efforts burkinabés en matière de projets numériques qui ont conduit l’association dirigée par Safiatou Faure à entrer dans une relation de partenariat avec le Burkina Faso, ainsi qu’avec le Niger, pour la création d’une bibliothèque virtuelle de la littérature d’Afrique noire francophone. L’objectif de ce projet est de faire mieux connaître les livres africains en Europe, mais aussi en Afrique même : l’idée centrale a donc été de créer à Bobodioulasso, au Burkina Faso, un site qui puisse être partagé par le Nord, tout en rendant visibles et opérantes les compétences qui existent en Afrique en matière de TIC et en suscitant des compétences chez de jeunes élèves. La collaboration a pour le moment pris la forme de notes de lecture de livres d’auteurs africains réalisées par les enfants d’établissements scolaires burkinabés (Bobodioulasso) et français (Saint-Médard-en-Jalles en Gironde). Le projet se poursuit avec l’idée de récupérer les bases de données déjà numérisées sur la littérature africaine pour constituer une biblio-graphie africaine la plus complète possible. Le site est géré par un comité de pilotage, il accueille en outre les journées professionnelles organisées chaque année par l’Agence de médiation culturelle des pays du Sahel qui témoigne des échanges constants autour de la lecture et la littérature de cette partie de l’Afrique.
L’échange avec la salle a permis de rappeler aux étudiants français la possibilité de faire des stages dans les pays du Sud et a donné à Safiatou Faure l’occasion de mettre en avant les efforts, parfois mal appréciés des partenaires européens, des pays africains en matière de TIC. Enfin Jean-Norbert Vignondé, chercheur au Celfa (Centre d’études linguistiques et littéraires francophones et africaines) a, dans sa synthèse, insisté sur la notion d’échange et sur la place à faire ou à laisser aux langues africaines dans ces échanges Nord-Sud privilégiant souvent le français et l’anglais.