Le swing des bibliothécaires musicaux :

rencontres nationales des bibliothécaires musicaux

Laurent Marty

La médiathèque José-Cabanis de Toulouse accueillait les 31 mars et 1er avril derniers les Rencontres nationales des bibliothécaires musicaux, organisées en collaboration avec l’Acim (Association pour la coopération des professionnels de l’information musicale), le Centre régional des lettres Midi-Pyrénées et l’ABF Midi-Pyrénées. Il s’agissait, selon le mot d’Arsène Ott, président de l’Acim, de sortir « d’un coup de blues passager et faire avancer la chose musicale en bibliothèque ».

En effet, alors que la disparition des supports fait douter de l’avenir des collections de disques et, au-delà, de la musique en bibliothèque, de nouveaux usages semblent apparaître, dessinant les contours d’une nouvelle culture numérique.

Nouveaux usages, nouveau métier et coopération

Pour Laurence Allard, maître de conférences en sciences de la communication à l’université Lille-III, les internautes sont de moins en moins passifs face à leur écran, puisque 68 % d’entre eux mettraient en ligne leurs propres contenus. Dans le domaine musical, il s’agit le plus souvent de pratiques d’appropriation et de détournement d’œuvres déjà existantes. Naissance d’une nouvelle forme d’expression de soi et d’une nouvelle définition de la culture, non plus comme bien mais comme échange, qui tendrait, selon l’analyse de l’auteur, à effacer la frontière entre amateur et professionnel. Reste une ambiguïté foncière, puisque ces pratiques, qui veulent échapper au marché de la musique, se révèlent fort lucratives pour les développeurs et hébergeurs.

Ces nouveaux usages, la mise à disposition de plus en plus facile de ressources musicales et la dilution du rôle de prescripteur imposent de repenser en profondeur le métier de bibliothécaire musical et ses rapports au public.

Ainsi, les présentations des actions de deux groupes associés de l’Acim en région ont mis l’accent sur la nécessité d’une collaboration entre établissements. Stephan Cotrelle, présentant le travail du groupe des Bibliothécaires musicaux de Picardie  1, détaille les avantages de ces groupes en région, qui permettent de mieux se connaître, d’échanger les points de vue et d’amorcer un véritable travail en réseau. Pierre Rebuffet, pour les Bibliothécaires musicaux de Midi-Pyrénées  2, a montré une application concrète de ce principe, avec la mise en place d’une étude préparatoire à un plan de conservation partagée des disques, action appuyée par le CRL, dans le droit fil de l’Inventaire des fonds sonores -édités patrimoniaux dans les collections publiques en France en cours de réalisation par l’Afas  3 (Association des détenteurs de documents audiovisuels et sonores).

Toujours en Midi-Pyrénées, l’université de Toulouse-Le Mirail entend mettre en place un réseau de ressources musicales en région, s’appuyant sur le groupe régional de l’Acim et réunissant à terme la majorité des acteurs du secteur (université, bibliothèques, conservatoires, associations…).

Dans le même esprit, la mise en place de Discoflux  4, site agrégateur de flux RSS personnalisable consacré à la musique, est un excellent outil de veille pour les professionnels, où chacun peut proposer de nouveaux liens.

Les systèmes d’écoute à l’essai

Pour répondre à la disparition des supports, les bibliothèques sont de plus en plus nombreuses à s’équiper de systèmes d’écoute de musique en ligne. Trois solutions différentes ont été présentées durant ces journées. Le système Polyphonie  5, d’abord, permet l’écoute de disques préalablement numérisés, aussi bien en nomade sur un Palm que sur ordinateur via l’Opac. Utilisé par une quinzaine de bibliothèques en France, ce système ne semble remporter qu’un succès mitigé, l’écoute d’extraits à partir de l’Opac ne séduisant pas les utilisateurs. Le système Sonolis de Kersonic  6, retient ce même principe d’écoute sur place d’un fonds numérisé, mais sur des bornes spécialement conçues, plus robustes.

Sur un principe différent, la borne Automazic  7 de l’association Musique libre !  8 permet d’aller plus loin en autorisant un véritable travail de diffusion et de programmation. En effet, l’utilisateur peut accéder de façon simple, par écran tactile, à l’offre de musique libre de l’association, et également mettre ses propres enregistrements en écoute. Cette possibilité permet d’établir des partenariats avec des artistes locaux, ensembles, conservatoires et écoles de musique qui trouvent ainsi un canal pour faire connaître leur activité. Les bibliothécaires peuvent également éditer leurs propres play-lists et mettre ainsi l’accent sur des artistes qu’ils jugent particulièrement intéressants. Les lecteurs peuvent exporter les fichiers sur leurs lecteurs MP3 par port USB ou graver CD et DVD. Cette formule est une réussite certaine, avec 12 000 téléchargements en quatre mois.

Nouvelles perspectives

C’est à un non-bibliothécaire, Gilles Rettel  9, directeur de MSAI (Multimédia, son, audiovisuel et informatique) et président de l’association Ohm et cætera de Saint-Malo, qu’est revenu le soin de tirer les conclusions les plus claires sur l’avenir de la profession. Après avoir rappelé les évolutions récentes du marché du disque et la réorientation de la filière musique, il a su pointer précisément la véritable révolution des usages initiée par internet, multipliant ce qu’il nomme les « fractures » (support contre flux internet ; majors contre indépendants ; gratuit contre marchand ; écoute individuelle contre expérience collective du concert…). Cohabitent donc aujourd’hui des usages multiples qui conduisent à une fragmentation des publics et des canaux de diffusion. Il est donc inévitable que le support physique perde sa primauté, et il importe de prendre en compte cette complexité pour continuer à attirer le public dans les bibliothèques. Il serait vain de vouloir concurrencer les offres commerciales, c’est un combat perdu d’avance. Mieux vaut donc faire de la bibliothèque musicale un lieu de médiation autour de la musique, une expérience unique, une balise permettant de donner du sens au flux ininterrompu qui sourd d’internet.

À la suite de cette communication très remarquée, les différents intervenants ont bien montré la place prépondérante qu’il faudrait dorénavant accorder à la médiation et au travail en réseau avec d’autres établissements musicaux, pour jouer un véritable rôle dans les missions d’accès à l’éducation musicale.