La médiathèque dématérialisée :

cinéma et vidéo

Silvère Mercier

Le conseil général du Val-d’Oise (la bibliothèque départementale et la mission Images et cinéma) et les associations Cible 95 et Écrans VO ont organisé le jeudi 17 avril 2008 à Cergy une journée professionnelle intitulée « la médiathèque dématérialisée. 2, cinéma et vidéo ». Cette journée est la deuxième d’un cycle de rencontres et de débats autour des mutations amenées par le numérique et ses impacts sur l’activité des bibliothèques.

Que se passe-t-il ?

D’emblée, la dématérialisation s’est imposée par l’intervention d’Alexandre Buisine de la société Smartjog, qui met en œuvre des réseaux privés et sécurisés pour le transfert des fichiers numériques destinés aux professionnels du cinéma. Car la question n’est en effet plus de savoir si les projecteurs de cinéma vont devenir numériques mais de savoir quand et comment. Si la France accuse un petit retard dans le domaine, 400 salles ont pour projet de se rééquiper et l’ensemble du secteur s’y prépare à plus ou moins long terme. Il est clair que la minute de film sous forme de pellicule brandie par Yves Bouveret (Écrans VO) en introduction est en voie de disparition !

Mais qu’en est-il du marché de la vidéo à la demande (VOD) en France ? Corisande Bonnin, chargée de mission VOD au Centre national de la cinématographie, a dressé un panorama de ce secteur dynamique en France : 32 sites, 7 offres de TVIP  1, 7 -offres de catch-up TV  2), même si le profil des consommateurs reste encore assez ciblé : majorité d’hommes de moins de 30 ans, beaucoup d’étudiants, un public plutôt technophile. Mais le plus intéressant est de remarquer la grande diversité des modèles proposés. Ces diverses offres proposent du paiement à l’acte, avec ou sans gravure des films et/ou transfert sur supports nomades, d’autres proposent un modèle forfaitaire d’accès illimité à un catalogue en streaming 3, quand d’autres encore proposent des vidéos gratuites en accès libres en se rémunérant grâce à la publicité. On note chaque année une forte augmentation du chiffre d’affaires du secteur et un doublement de l’offre totale en un an, même si l’ensemble reste encore assez modeste : 2 500 films répertoriés sur les sept plateformes suivies par l’Observatoire du CNC  4. Mais les internautes n’ont pas attendu des offres commerciales pour regarder des vidéos en ligne, comme en témoigne le succès de plateformes de vidéos communautaires alimentées par les internautes comme Dailymotion  5 ou YouTube  6. Après une présentation de ces deux sites, la journaliste Anne-Lise Carlo a insisté sur l’ampleur des batailles juridiques que leur livrent les chaînes de télévision, soutenues par les ayants droit… L’enjeu est bien celui du contrôle des contenus et des « tuyaux ».

Si les enjeux sont économiques, la question juridique est étroitement liée, comme l’a très clairement rappelé Yves Alix (BBF). Les bibliothèques et plus largement les organismes non commerciaux se voient obligatoirement contraints par le système de chaîne contractuelle de négocier eux-mêmes ou de passer par des prestataires spécialisés. Le récent rapport Berthod  7, diversement reçu par les acteurs concernés, tente pourtant d’aménager un espace juridique plus favorable aux projections publiques non commerciales. Ceci est d’autant plus difficile que le contexte national est à la « désincitation » au piratage, à la faveur des ayants droit, contre des millions d’internautes que la mission Olivennes a proposé de sanctionner de manière progressive. Il est à noter que la question du téléchargement illégal est loin d’être tranchée puisque que le Parlement européen vient de se prononcer à une nette majorité contre les propositions de M. Olivennes. Nul doute que les bibliothèques seront amenées, peut-être par la voie de l’IABD  8, à prendre des positions destinées à assouplir un système qui est loin de favoriser la diffusion culturelle à des fins non commerciales.

Que faisons-nous ?

En attendant, les initiatives se développent et la Bibliothèque publique d’information entend bien jouer son rôle de mutualisation puisqu’elle annonce la création d’un wiki consacré à la VOD en juin 2008. Catherine Blangonnet a rappelé les dispositifs existants  9 et évoqué avec Jacques Sauteron, directeur de la Bibliothèque d’étude et d’information de Cergy, le partenariat permettant de diffuser dans les espaces une sélection de films documentaires, ce qui a permis de souligner l’importance de ce cinéma aux côtés des autres supports. Autre expérience que celle de la médiathèque de Pessac qui développe un projet culturel ambitieux autour des rapports entre cinéma et histoire en partenariat notamment avec l’INA  10, à qui elle achète les droits sur des heures de programmes et bénéficie de dispositifs de médiation. L’occasion de rappeler que le travail d’accompagnement des films qui sont mis à disposition est essentiel.

Car la question reste bien de savoir non seulement ce qu’on propose, mais aussi pourquoi et comment. Si l’offre d’Arte VOD rencontre l’intérêt de la profession par la qualité du catalogue proposé, les modèles souhaités par les bibliothécaires sont très divers et le modèle économique ne permet pas un accès forfaitaire illimité. Premier contact d’Arte pour développer cette offre à destination des bibliothèques, Louis Burle, directeur du réseau troyen, regrette notamment qu’elle ne soit pas exempte de problèmes techniques et réservée exclusivement aux internautes équipés de Windows.

Où allons-nous ?

De manière globale, les prestataires, et notamment RDM et VHS, s’ils préparent des offres, ont semblé quelque peu perplexes, car ils évoluent eux-mêmes dans un marché qui n’est pas stabilisé pour le grand public au moment où des mouvements tectoniques ont lieu dans le secteur  11. CVS semble pourtant tirer son épingle du jeu en proposant une offre dédiée aux courts-métrages. La table ronde finale a permis de bien montrer l’attachement des bibliothécaires à la sélection et à la médiation des ressources, comme en témoigne la vitalité du Mois du film documentaire présenté par Dominique Margot.

Pour conclure, Michel Melot a malicieusement tissé le parallèle entre la diffusion des films à domicile depuis la bibliothèque et le prêt de cet objet éminemment personnel et d’usage privé qu’est le livre. Mais laissons le dernier mot à Franck Gabriel, de CVS, exprimant tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : « Bibliothécaires, quelque part votre métier est mort, mais ce n’est pas grave, vous allez le réinventer… ! »