Le livre électronique, une lente révolution :

4e Journée Couperin

Laurent Jonchère

Malgré une offre de contenus toujours insuffisante et des -ventes très faibles, l’année 2008 annonce une nouvelle effervescence du livre électronique, suscitée notamment par le développement rapide des supports à encre électronique, et le lancement d’une offre éditoriale sur la plate-forme Gallica 2. La 4e Journée Couperin du 31 mars dernier à Bordeaux abordait ces différents aspects, autour du thème « l’e-book en action(s) : de l’acquisition à la diffusion ».

Des outils adaptés aux besoins des étudiants

Selon Henri Isaac  1 (Paris-Dauphine), c’est en partant des besoins réels des étudiants qu’il faut bâtir une offre de livres électroniques, tant du point de vue des supports que des contenus. Le livre électronique se conçoit en effet comme un ensemble de services. Il apparaît nécessaire d’évoluer vers une convergence des supports, car les étudiants sont déjà suréquipés en objets numériques (iPods, clés USB, portables, etc.), et de généraliser les moyens d’accès à distance aux ressources, pour des usagers de moins en moins présents sur les campus. Le manuel de cours reste pour ces derniers un outil fondamental ; il faudrait leur donner la possibilité de reproduire numériquement les usages du papier (surlignage, annotations, résumés), tout en leur proposant de nouvelles fonctionnalités (version audio, partage de données entre utilisateurs, etc.).

Deux étudiants Miage (Méthodes informatiques appliquées à la gestion des entreprises) de Paris-V venaient illustrer ce propos en exposant leur vision d’un « e-reader étudiant » : un outil nomade, autonome, peu encombrant, permettant d’accéder à tout moment aux ressources et d’en enrichir le contenu, de partager des commentaires et des annotations avec d’autres utilisateurs.

La journée se poursuivait par un panorama critique de l’offre en 2008, à partir du tout nouveau comparateur dynamique des plates-formes de livres électroniques, disponible sur le site de Couperin, et dont Florence Barré (SCD Nîmes) et Guillaume Hatt (SCD École nationale des chartes) ont analysé les données.

Hazel Woodward (Cranfield University) était invitée à présenter le projet britannique d’observatoire des livres électroniques du JISC  2. Cet observatoire, qui dispose d’un budget de 600 000 livres sterling pour l’acquisition, au niveau national et pour une durée de deux ans, de manuels numériques d’enseignement supérieur, a sélectionné un total de… 36 ouvrages. Les manuels sont diffusés en accès illimité, dans quatre domaines disciplinaires, auprès d’un million d’étudiants issus de 120 universités. Le projet tente de répondre à la fois aux attentes des bibliothèques, insatisfaites des modèles économiques et des contenus actuellement proposés, et aux craintes des éditeurs partenaires, qui redoutent une baisse consécutive des ventes de manuels imprimés. Au cours de l’année 2008, le JISC va observer très finement la manière dont les étudiants utilisent les livres, à travers des questionnaires (le premier a recueilli un nombre record de 22 000 réponses), et surtout un dispositif d’évaluation basé sur l’analyse des logs. Il s’agit parallèlement d’évaluer l’impact de la gratuité de l’offre numérique sur les ventes de manuels papier. Les résultats de ces études permettront aux éditeurs et bibliothèques partenaires de définir des modèles économiques et de diffusion appropriés.

Des obstacles à surmonter

C’est d’un autre projet national de livres numériques, qui mobilise la participation d’une centaine d’éditeurs et d’une dizaine d’agrégateurs français, que rendait compte Fabien Plazannet (Direction du livre et de la lecture). Le Salon du livre de Paris inaugurait en effet en mars dernier le lancement officiel d’un catalogue d’ouvrages français sous droits sur la plate-forme Gallica 2, qui devrait proposer plus de 10 000 titres avant la fin 2008. Par ailleurs, une mission sur le livre numérique vient d’être confiée à Bruno Patino, dont les conclusions sont attendues prochainement. Actuellement, la question la plus importante à résoudre est celle du modèle économique. Le numérique sera-t-il complémentaire ou concurrent du papier ?

Malgré ces initiatives encourageantes, le développement du livre électronique se heurte encore à la résistance de nombreux éditeurs, qui craignent un déséquilibre du modèle économique actuel. Or, selon Xavier Cazin (O’Reilly France), si l’on compare la structure des coûts papier et numérique, à quantité vendue égale et à prix égal, le numérique serait susceptible de dégager une marge de manœuvre de 20 %. Pour le moment, le numérique coûte cher aux éditeurs parce qu’il ne leur rapporte rien ; il faudrait vendre plus de titres, et pour cela multiplier les canaux de diffusion, diffuser sur un maximum de plates-formes et dans un maximum de formats, proposer des abonnements souples, et surtout verrouiller le moins possible les fichiers. Les systèmes de protection DRM rassurent les éditeurs, hantés par le spectre du piratage, mais ne permettent pas un usage satisfaisant des e-books pour les lecteurs. Depuis huit mois qu’il vend des ouvrages PDF sur son site, l’éditeur O’Reilly a constaté une augmentation globale de ses ventes qui ne s’est pas traduite par une diminution du chiffre d’affaires papier : donc le numérique ne mord pas sur le papier.

Le numérique va-t-il finalement s’imposer grâce aux nouveaux supports ? Le SCD d’Angers (Daniel Bourrion) a fait le pari cette année de tester le prêt d’une dizaine de readers Cybook auprès de ses usagers. Même si le livre papier demeure supérieur au livre électronique, observe Jacques Angelé (Nemoptic), la qualité des tablettes de lecture s’améliore rapidement, et leur coût devrait bientôt diminuer. On est en présence d’un marché potentiel de plusieurs milliards de dollars, qui attire de nombreux industriels. Selon Bruno Rives (Observatoire Tebaldo), les technologies du papier et de l’encre électroniques marquent une rupture avec le support traditionnel. Proche du papier par sa lisibilité, l’e-paper est réinscriptible, communicant, enrichi, et même résistant à l’eau. Demain, il sera flexible et capable d’afficher la couleur. On ne diffusera plus et on ne lira plus les livres de la même façon.