Politiques et réseaux de coopération :
11es journées des pôles associés
Annie Le Saux
Les 11es Journées des pôles associés, qui se sont tenues les 27 et 28 mars au Conseil de l’Europe à Strasbourg, ont abordé la coopération non plus sous un seul angle bilatéral et thématique mais sous le nouvel axe privilégié par la Bibliothèque nationale de France que sont les enjeux régionaux.
Les enjeux régionaux
En réponse à l’une des trois priorités – le signalement des collections, les deux autres étant la conservation et la valorisation – que s’est fixées le Plan d’action pour le patrimoine écrit, lancé en 2004 par la Direction du livre et de la lecture et dont la BnF est l’opérateur, l’enquête nationale, menée en 2005-2007, a montré que 36 % des collections ne sont ni inventoriées, ni cataloguées, que le degré d’informatisation des bibliothèques patrimoniales est faible (54 %) et que les situations varient énormément suivant les régions (Fabien Plazannet, DLL).
Le fonctionnement à l’échelle des régions est complexe, les acteurs sont nombreux et variables d’une région à l’autre (direction régionale des affaires culturelles, agences régionales du livre, centres régionaux du livre, fonds régionaux d’acquisitions pour les bibliothèques, bibliothèques de dépôt légal imprimeur, bibliothèques municipales à vocation régionale…), leurs subventions et leur implication inégales. Cette disparité se reflète dans les réalisations, qu’il s’agisse de création de catalogues, d’inventaire et de catalogage de fonds non traités jusqu’alors, de mise en place de plans formation ou de création de portails 1…
Les prochaines actions régionales de coopération devraient voir une systématisation des pôles associés régionaux 2 et le développement d’un Observatoire du patrimoine écrit en région (Oper) qui s’appuierait sur un partenariat DLL 3-Fill (Fédération interrégionale du livre et de la lecture). Parmi les chantiers entrepris par la BnF, outre la poursuite de la numérisation de ses propres collections et de celles concernant l’histoire locale et régionale, se profilent l’informatisation de la Bipfpig (Bibliographie de la presse française politique et d’information générale 4), et celle, à partir de 2009, du patrimoine musical régional (Aline Girard, BnF).
Le choix de Strasbourg comme lieu de ces 11es Journées conduisait tout naturellement à parler de la coopération en Alsace. L’absence de centre régional du livre, de fonds régional d’acquisition pour les bibliothèques (Frab), ou de BMVR, n’a pas empêché le développement d’actions communes que ce soit à l’échelle de la communauté urbaine ou de la région. Citons la création d’une carte unique – Pass’relle – pour un réseau de 22 bibliothèques, la participation à une carte documentaire Haute-Alsace, la publication d’un Guide des fonds patrimoniaux d’Alsace, dont une mise à jour électronique est vivement souhaitée. L’exemple le plus actuel de mutualisation des ressources et des services concerne la fusion, qui sera effective au 1er janvier 2009, des trois universités strasbourgeoises et, par voie de conséquence, des trois SCD, dont Iris Reibel-Bieber (SICD des universités de Strasbourg) a révélé toute la complexité (multiplicité des structures, disparité des horaires et congés, parcs informatiques hétérogènes…).
Multipliant les axes de coopération, la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg est, de par sa double orientation enseignement supérieur et culture, à la fois Cadist (centre d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique) et pôle associé de la BnF dans le domaine des langues, littératures et civilisations germaniques et dans celui des sciences religieuses. La Bnus est aussi une « passerelle entre l’université et la cité, entre le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, entre les sociétés savantes et les organismes de numérisation nationaux et entre la France et l’Allemagne » (Albert Poirot, administrateur de la Bnus).
Les outils nationaux de coopération
L’exemple des réseaux thématiques – en l’occurrence celui des religions 5 – a montré combien le signalement des fonds reste un vrai défi. Car nombreuses sont encore les bibliothèques non informatisées, quand elles ne sont pas, comme les bibliothèques monastiques, fermées au public.
Malgré la volonté de la BnF de développer des outils de coopération et d’en simplifier l’utilisation – le nouveau portail du Catalogue collectif de France permet, par exemple, en une seule interrogation, une recherche globale dans BN-Opale plus, le catalogue du Sudoc et la base Patrimoine –, le monde multiple des bases et des catalogues et la fréquence avec laquelle on les baptise, débaptise et rebaptise nous donnent le tournis.
Par exemple, la base « Patrimoine », présente depuis peu dans le CCFr, anciennement BMR ou Bibliothèques municipales rétroconverties 6, regroupe le Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France ou CGM, le Répertoire des manuscrits littéraires français du xxe siècle ou projet Palme et les archives et manuscrits de la BnF. L’uniformisation des notices au format EAD est donc la bienvenue et devrait, à terme, aboutir à un accès unique aux manuscrits.
L’enseignement supérieur, de son côté, répertorie ses manuscrits dans la base Calames. Ce Catalogue en ligne des archives et manuscrits de l’Éducation nationale 7, développé par l’Abes, et ouvert au public depuis décembre 2007, a pour ambition d’être accessible via les moteurs de recherche (Max Naudi, SDBIS).
Si l’on considère à l’instar de Gildas Illien, chef du tout nouveau service Dépôt légal numérique à la BnF, qu’« internet est un patrimoine en train de se faire », les recherches sur les moyens de prolonger la durée de vie des supports, formats, environnements matériels et logiciels des documents numérisés ou natifs numériques, s’avèrent urgentes et nécessaires. Tel est l’objectif du projet Spar (Système de préservation et d’archivage réparti), sorte d’entrepôt virtuel, destiné à fournir un accès pérenne à toutes les données préservées (et archivées dans deux endroits au moins) (Thomas Ledoux, BnF). Parallèlement à une collecte automatique pour les grands volumes, la BnF développe une collecte ciblée selon un thème ou un événement, comme celle des sites électoraux des élections présidentielles et législatives de 2007, qui s’est faite en coopération avec les régions. Bernard Huchet (BM de Caen), considérant sa participation à cette opération comme une « extension naturelle du dépôt légal imprimeur », a regretté que ces sites sélectionnés et archivés ne soient, pour le moment, accessibles que depuis les salles de lecture du rez-de-jardin de la BnF.
Les enjeux internationaux
L’Allemagne, la France et la Suisse participent à ce bel exemple de coopération transfrontalière qu’est le réseau Eucor, confédération européenne de sept universités du Rhin supérieur, qui s’est bâti, il y a une vingtaine d’années, sur la proximité territoriale. Ce réseau, qui a pour spécificité le multilinguisme, encourage les échanges d’étudiants et d’enseignants et lance des programmes de recherche communs (Bernard Michon, président de l’université Strasbourg-II).
En Allemagne, c’est surtout au sein des Länder que la coopération se réalise. Cependant des projets nationaux sont en cours, comme celui de la Deutsche Digitale Bibliothek, bibliothèque numérique allemande, développée par l’État fédéral et les Länder et à l’élaboration de laquelle bibliothèques, archives et musées participent (Renate Behrens-Neumann, Deutsche Nationalbibliothek). La Bayerischen Staatsbibliothek y contribue, notamment à travers son projet de numériser 40 000 ouvrages du xvie siècle, grâce à un partenariat avec Google (Wolfgang-Valentin Ikas). Du côté du monde de l’édition, une plateforme a été développée, en 2007, par des éditeurs et libraires allemands, Libreka 8, qui propose plus de 16 000 titres en allemand.
En France, la participation des éditeurs à Gallica 2 9 n’est pas allée de soi. Les éditeurs, après une longue hésitation, ont cependant compris l’enjeu de cet accord avec la BnF qui leur permet notamment de redonner vie à des ouvrages épuisés, et se sont initiés aux problèmes techniques (métadonnées) et juridiques (renégociation des droits d’auteur) que cette mutation vers le numérique implique (François Gèze, Syndicat -national de l’édition).
Un essor généralisé du numérique donc, mais qui ne doit pas nous empêcher de réfléchir à ses incidences sur l’avenir des bibliothèques.