Bibliothèques :
le bel aujourd’hui ?
Yves Alix
«La bibliothèque se meurt, la bibliothèque est morte ? » Pour démentir les Cassandre qui annoncent un peu partout la fin des bibliothèques, Anne-Marie Bertrand, directrice de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, avait choisi, à l’occasion de la table ronde annuelle de l’école au Salon du livre, de délivrer aux fidèles, parfois tentés par une pointe de scepticisme, un message d’optimisme. Le propos était aussi d’inviter au débat sur l’avenir de la lecture publique. Bien que le format des rencontres professionnelles du Salon ne soit guère propice au déploiement des échanges, gageons que chacun dans la salle aura reçu le message, et saura le méditer.
Discours et réalité
Le discours classique sur le retard français en matière de bibliothèque, annonça d’emblée Anne-Marie Bertrand, ne correspond plus à la réalité. Inachevée, la mise à niveau est bien réelle, et se poursuit. À la question de savoir si ce retard français est encore important, on peut répondre oui (les horaires, les crédits) aussi bien que non (le parc immobilier, les outils collectifs, la hausse de la fréquentation). Quant aux effets pervers possibles d’un discours négatif, ils se devinent : ne risque-t-il pas d’avoir sur les interlocuteurs un effet démobilisateur, le contraire du but recherché ?
La question, selon elle, est moins celle de la situation que celle de la représentation et du discours. À cet égard, la comparaison avec les États-Unis reste éclairante. La réalité américaine : 66 % de fréquentation, 135 000 emplois, des réseaux efficaces… mais des difficultés budgétaires récurrentes. Le discours, tel qu’il est porté par l’ALA (American Library Association) et son président, est offensif : en s’appuyant sur des relais d’opinion, on peut obtenir de nouveaux moyens et continuer de développer la lecture publique ; il est aussi positif : il faut communiquer, argumenter, montrer les succès des bibliothèques, qui sont un bien public, à l’utilité sociale reconnue, et une valeur américaine. Rapportée à la réalité française, cette approche comparative, qu’Anne-Marie Bertrand a étayée au fil d’un séjour universitaire aux États-Unis, invite à dépasser la déploration à la mode, et à donner un nouveau souffle au mouvement entamé après-guerre.
Le chemin parcouru
Témoin du changement radical de la réalité et de l’image des bibliothèques françaises en quarante ans, Michel Melot, qui fut directeur de la Bibliothèque publique d’information et secrétaire général du Conseil supérieur des bibliothèques, nous a aidés à mesurer le chemin parcouru. Autrefois, il était difficile de parler de bibliothèques à des élus. Aujourd’hui, ils sont le plus souvent, sur le terrain, le fer de lance de leur construction et de leur développement. Ce qui a fait la réussite de celles-ci, outre l’effort consenti par la Nation et la volonté politique, ce sont les bibliothécaires et leur intérêt pour la nouveauté et l’ouverture au multimédia, les architectures et leur diversité (« Il y a en France des réalisations remarquables que le monde nous envie »), la convivialité et l’action culturelle. Autant de points forts sur lesquels il est toujours possible de s’appuyer. Si des points faibles subsistent, horaires d’ouverture insuffisants, fermeture le dimanche, faiblesse – relative – des outils informatiques, la situation incline néanmoins à l’optimisme.
Daniel Le Goff, directeur de la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges, ouvrit son intervention en paraphrasant un ancien président de la République : « La réussite, le succès des bibliothèques obligent. » Se lançant à son tour dans un exercice comparatiste, il mit en parallèle la Finlande et la France. Là, un réseau structuré, une loi, une vision prospective et une conviction positive. Ici, une amélioration continue de la relation avec les élus, une meilleure écoute, mais une distance à parcourir encore considérable. Pour autant, la comparaison des deux pays montre que la France est déjà parvenue à un très bon niveau d’intégration des bibliothèques dans la vie sociale et dans l’environnement quotidien. La bibliothèque doit aller où les gens sont. Pour consolider les acquis, les chantiers ouverts doivent être poursuivis : gratuité, horaires d’ouverture, valorisation du patrimoine, structuration des services.
Plusieurs pistes lancées par la salle ont montré la vivacité de la réflexion des professionnels sur ces évolutions. Le développement des bibliothèques s’est fait, mutatis mutandis, dans un environnement conceptuel, sinon technique, plutôt stable. Aujourd’hui, l’explosion d’internet, l’éclatement du monde rural, l’individualisation des services, la mondialisation de l’économie constituent autant de facteurs de déséquilibres. On pensait l’évolution, il faut penser le changement. La tâche est déroutante, sans les outils adéquats. Bel aujourd’hui, incertain demain ?