Numérisation et patrimoine :
des bibliothèques trop vastes ?
Florence Bianchi
Le nouvel espace Lectures de Dem@in proposait stands d’exposition et de démonstration et cycle de conférences et de débats pour questionner les contenus, les supports et les conditions de lectures, en pleine révolution numérique. L’une des rencontres animées par Daniel Garcia (Livres Hebdo) s’interrogeait sur les futurs liens entre numérisation et patrimoine et les conséquences pour les bibliothèques : « Quand, demain, la mémoire du monde tiendra dans quelques armoires informatiques dont l’immense contenu sera accessible sur les ordinateurs domestiques, les bibliothèques ne seront-elles plus que des coquilles vides ? »
Construire ?
Pour l’historien du livre Jean-Yves Mollier, avant de vouloir remplacer les bibliothèques par des bibliothèques virtuelles, il faut « continuer à construire d’urgence des médiathèques en dur », car « les différences d’équipement demeurent importantes entre un Nord bien équipé et un Sud peu équipé », que ce soit à l’échelle française, européenne et bien sûr mondiale.
Cependant, selon Fabien Plazannet (Direction du livre et de la lecture) – pour qui les différences françaises se posent plutôt en termes de taille des villes –, cette impulsion existe d’elle-même : de nombreux élus, depuis une vingtaine d’année, veulent des bibliothèques. Les inciter à construire n’est donc pas nécessaire, il s’agit plutôt d’accompagner la modernisation des équipements et l’équilibre entre le bâtiment et le reste du budget.
Et ces « bibliothèques ne sont jamais trop grandes » a affirmé Alain Pansu, fier des 4 000 m2 de sa nouvelle médiathèque intercommunale de Drancy-Le Bourget, qui en remplacent 350. Plus la bibliothèque est vaste, plus elle attirera la population, quelle que soit la future utilisation du bâtiment quant à l’évolution numérique. La collectivité doit avoir en tête, lors de la construction d’un bâtiment, « la possibilité de son redéploiement pour une autre activité », y compris tout autre que celle de bibliothèque.
Pour Dominique Arot, président de l’Association des bibliothécaires de France, la question n’est pas celle d’une opportunité technologique, elle est d’abord politique et intellectuelle : « Avons-nous envie que subsistent, se développent, s’ouvrent des lieux collectifs d’appropriation du savoir indépendamment du modèle marchand ? »
Des bibliothèques hybrides
La commission Bibliothèques hybrides de l’Association des bibliothécaires de France mène donc une réflexion sur cette évolution vers des bibliothèques qui offrent des lieux, des espaces, une architecture et des documents numérisés. Car il faut se méfier du risque d’une approche simplificatrice qui voudrait qu’on remplace une chose par une autre en jouant sur la peur. Il faut au contraire « raisonner en termes de complémentarité et non de substitution », a renchéri Jean-Yves -Mollier : donner à l’Afrique et à l’Asie uniquement des bibliothèques virtuelles pour « combler le fossé » serait une erreur. Les bibliothèques de demain doivent, à l’instar de la nouvelle bibliothèque d’Alexandrie, être dès maintenant virtuelles, mais aussi continuer à donner accès aux revues, livres, CD, etc.
Certes, on proposera de plus en plus de supports numérisés, mais on ne peut pas tout numériser, notamment pour des raisons de coût et d’incertitude quant à la lisibilité future des supports d’aujourd’hui. De plus, a rappelé Dominique Arot, les usagers restent très attachés à l’objet livre, « bon partenaire au lit * ». Ils sont encore très demandeurs de fonctions traditionnelles et viennent dans une très large majorité pour emprunter des livres, a ajouté Fabien Plazannet, enquête du Crédoc à l’appui. L’évolution numérique est « une évolution douce », mieux vaut l’accompagner en douceur plutôt que se lancer dans de nouvelles politiques brutales.
Tous se sont accordés sur le fait que cette hybridation de la bibliothèque et cette diversification des offres et des usages – différents selon la taille, la population et les choix de chacune – accentuent le rôle de médiateur du bibliothécaire. Elles permettent aussi – notamment grâce à la chance offerte par les nouvelles technologies de « lutter contre le départ des ados masculins de treize ans » (Alain Pansu) – de créer davantage de lien social.