La coopération européenne des bibliothèques
Juliette Doury-Bonnet
La table ronde organisée par le BBF avait pour ambition de prolonger le dossier du numéro 1 de 2008, « Europe 27 1 », et d’inciter les professionnels à échanger, coopérer et se regrouper dans un contexte peu favorable aux bibliothèques, comme le rappela Yves Alix.
Comment s’inscrire dans l’agenda européen ?
« En France, on est sceptique vis-à-vis de cette grosse machine qu’est l’Europe », constata Corinne de Munain, chargée de mission pour l’Europe à la Direction du livre et de la lecture. L’économie et l’emploi sont au premier plan et la culture n’est qu’une compétence subsidiaire laissée à la responsabilité des États membres. Demander un financement européen, c’est compliqué, pense-t-on, à juste titre. Cependant, on n’a pas intérêt à laisser les pays du Nord s’insérer seuls dans le dispositif européen.
L’Union européenne concerne les bibliothèques dans trois domaines, mis en œuvre par trois directions de la Commission européenne : recherche et société de l’information, politique régionale, éducation et culture. En ce qui concerne le premier axe, la Bibliothèque nationale de France conduit la contribution française à la bibliothèque numérique européenne. Sont également financés par la Commission européenne, le programme Chilias (Children’s Library Information Animation Skills), piloté de 1994 à 1998 par la bibliothèque de Stuttgart, et le projet Minerva de numérisation du patrimoine. Dans le domaine de la politique régionale, les Espaces culture multimédia ont été soutenus dans la vague 2000-2006. Enfin le volet Éducation et culture est porté par une jeune direction qui, sans beaucoup de moyens, s’occupe des jumelages et promeut la mobilité des œuvres et des artistes, surtout dans le domaine du spectacle vivant.
Regrettant le cloisonnement qui reste la règle en France, Corinne de Munain donna des exemples de projets autour desquels plusieurs pays peuvent s’associer. Ainsi, dans le cadre du programme Éducation tout au long de la vie, Grundtvig finance Biblex, un plan de lutte contre les exclusions piloté par Médiat Rhône-Alpes et dont les bibliothèques municipales de Grenoble sont partenaires. Deux structures peuvent aider les bibliothèques à monter un dossier : le Relais culture Europe 2 à Paris et l’agence Europe éducation formation France 3 à Bordeaux.
Dans le public, Annick Guinery (BM de Choisy-le Roi) remarqua que les projets évoqués concernaient de grands établissements. Beaucoup de professionnels sont intéressés par la mobilité, beaucoup de petites bibliothèques souhaiteraient s’intégrer à des dispositifs européens alors qu’il n’y a souvent pas de projets internationaux dans les collectivités territoriales. Corinne de Munain fit allusion au financement possible de micro-projets associant culture et tourisme.
Les formations vont-elles au même rythme partout ?
Sylvie Chevillotte, chargée des relations internationales à l’Enssib, constata une grande disparité des formations professionnelles selon les pays, en dépit du cadre commun du processus de Bologne. Les mêmes matières sont enseignées partout, mais les approches et l’organisation des études diffèrent. Quant au statut des bibliothécaires 4, peu de pays ont un système aussi rigide que la France. « Cependant, on avance peu ou prou au même rythme partout. » La mobilité étudiante et enseignante, encouragée par les programmes Erasmus, et la question des équivalences professionnelles constituent des enjeux importants.
La coopération est en marche grâce aux associations professionnelles. Ainsi Euclid (European Association for Library and Information Education and Research) travaille sur les contenus des formations pour dégager les « cœurs de métier ». Elle organise depuis 1993, en collaboration avec au moins deux universités, un congrès européen annuel, Bobcatsss 5. L’idée était à l’origine de rapprocher les étudiants des écoles de bibliothéconomie d’Europe de l’Est et de l’Ouest.
En réponse à une question du public (Odile Grandet, médiathèque du musée du quai Branly), Sylvie Chevillotte a reconnu que la formation de l’Enssib n’avait intégré que récemment la composante internationale. Mais des échanges sont possibles au niveau du master et l’on fait appel à des intervenants étrangers dans la formation : là aussi, on progresse à petits pas.
Les bibliothèques de recherche et l’Europe
Marie-Françoise Bisbrouck, directrice du SCD de l’université Paris-Sorbonne (Paris IV), présenta Liber, la Ligue des bibliothèques européennes de recherche – dont elle pilote le groupe de travail Architecture – et les chantiers des bibliothèques de recherche au niveau européen. Elle insista sur la présence de Françaises dans les quatre divisions que compte l’association (accès, management et marketing, développement des collections, préservation et conservation). Le projet de Liber s’articule autour de quatre problématiques : la communication scientifique, les services de bibliothèques, le management des bibliothèques, les services offerts aux membres de Liber. La Ligue s’associe à d’autres associations professionnelles, européennes ou internationales, telles que Sparc, Driver, Eblida, EDL ou le Cerl, en signant des conventions de partenariat. Le groupe d’experts en architecture organise un séminaire tous les deux ans (à Budapest en avril 2008) et diffuse un document sur les nouvelles réalisations. Les volumes sont reproduits par la bibliothèque de l’université de Göttingen.
Après le congrès 2007 à Varsovie, 2008 à Istanbul, Marie-Françoise Bisbrouck annonça que le congrès 2009 aurait lieu à Toulouse, et encouragea les auditeurs à « (ré)apprendre l’anglais pour pouvoir partager ».
La coopération est inscrite dans les missions de la Bibliothèque publique d’information. Emmanuel Aziza, responsable du pôle services aux publics, évoqua les expériences de la BPI dans son dialogue avec les bibliothèques étrangères : formations montées avec la Bibliothèque nationale de France en partenariat avec le ministère des Affaires étrangères, conventions avec de grandes bibliothèques européennes et organisation de colloques croisés, voyages d’étude…
C’est dans cette perspective du bibliothécaire qui va au-devant du public que s’inscrit le réaménagement des espaces de la BPI.
Pour Marian Koren, chef du bureau de la recherche et des relations internationales de Vereniging van Openbare Bibliotheken, l’association des bibliothèques des Pays-Bas, « on fait de bonnes choses en Europe, mais Eblida ou Liber, c’est très petit ». Il n’y a pas assez de professionnels en Europe pour parler des thèmes communs. Comment élargir le réseau des bibliothèques ? Y a-t-il tellement de différences entre les publics des bibliothèques publiques et universitaires que cela justifie des formations et des consortiums spécifiques ?