Les consortiums documentaires en France et dans le monde
Nicolas Hubert
La directrice et le coordinateur de Couperin, respectivement Geneviève Gourdet et Pierre Carbone, ont dressé un intéressant état des lieux et des perspectives qui s’ouvrent actuellement aux consortiums d’achats, notamment en France.
Généralisés entre 1997 et 2003, d’abord aux États-Unis, où ils existent à tous niveaux (État, université, etc.), les groupements d’achats se sont fédérés en 2000 dans un « consortium de consortiums », l’Icolc (International Coalition of Library Consortia) qui compte 200 membres. Cette superinstance n’a pas de pouvoir autre que celui de la persuasion : à l’automne 2007, alors que l’éditeur Science voulait se retirer du service d’archivage en ligne de périodiques académiques JStor (Journal Storage), la pétition qu’il lança permit aux bibliothèques d’obtenir gain de cause. L’Icolc exerce aussi une activité déclaratoire qui contrebalance les effets du lobbying des éditeurs dominant le marché : déclaration en faveur de la préservation des revues électroniques académiques (novembre 2005) ou pour la mise en place de mesures statistiques d’utilisation (octobre 2006).
En France, Couperin (Consortium universitaire de publications numériques), association loi 1901, compte 211 établissements, EPST (établissement public à caractère scientifique et technologique) et EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) ; c’est le seul groupement national mais d’autres pays en comptent plusieurs (trois en Italie). Son équipe est formée de trois permanents, d’un département « Études et prospectives » et d’un département « Coordination des négociations documentaires », organisé par pôles et par secteurs disciplinaires (49 négociateurs dont sept responsables de pôles). En 2006, 161 membres avaient souscrits environ 1 800 contrats dont un tiers dans le cadre d’un groupement de commandes. Ceux-ci sont au nombre de 16, dont quatre regroupent plus de 50 membres et comptent pour plus de 50 % des dépenses : Elsevier SD (130 membres), Springer-Kluwer (62), Wiley-Blackwell (53), CAS – Chemical Abstracts Service (53).
Quelles sont les évolutions observées ? Depuis 1998, l’abonnement papier reste la référence. Le couplage papier-électronique ayant prévalu à la mise en place des consortiums est encore d’actualité, même si, pour les grands éditeurs, la période 2002-2003 a vu aboutir une réflexion engagée sur l’accès croisé (papier + électronique) débouchant sur la rédaction de contrats « Big deal » (avec engagement pluriannuels d’achats et « price cap » : plafonnement des augmentations). Ces nouveaux contrats ont modifié les pratiques de lecture puisqu’on estime que les chercheurs lisent 25 % d’articles en plus qu’il y a vingt-cinq ans, dans deux fois plus de revues. Mais leur rigidité, la complexité de la facturation (remise supplémentaire pour facture unique, occasionnant une refacturation) et l’inadaptation des packages à la demande réelle (80 % des consultations portent sur 20 % des titres, les périodiques les plus mauvais étant mêlés à des titres de rang 1) ont incité certains à la rupture, sans que leur action ne change rien. Reste qu’un autre modèle est en train d’émerger pour l’électronique seul : celui de l’American Society of Chemistry qui veut déconnecter ses prix de la valeur des abonnements papier afin de prendre en compte le type de client, le contenu et surtout les usages évalués et réévalués en cours de contrat. Les consortiums devront de ce fait maîtriser leurs propres outils de mesure statistiques afin de ne plus dépendre – c’est le sens de l’initiative Counter, Counting Online Usage of Networked Electronic Resources – des données produites par les éditeurs. La taille de la population étudiante, le niveau de développement économique, le niveau de publication scientifique du pays sont d’autres variables du modèle complexe de l’ASC qui restera régi par un impératif premier d’augmentation du chiffre d’affaires.
En amont de l’achat, les consortiums ont soutenu l’initiative Sparc (Scholarly Publishing and Academic Resources Coalition) pour le développement de l’open access 1. En France, l’Agence nationale de la recherche a déjà annoncé qu’elle prendrait en compte dans son évaluation des candidatures à projets le dépôt des articles dans des répertoires institutionnels – c’est dire l’importance croissante de ce sujet. Les consortiums se sont aussi intéressés à la fiscalité de l’électronique 2, désormais discutée à la Commission européenne, ainsi qu’au problème des archives d’éditeurs. À cet égard, la France accuse un certain retard. Paradoxe d’un État historiquement centralisé mais incapable d’imiter son voisin allemand qui, pour un prix de 20 à 25 millions d’euros, vient d’acquérir pour le compte de ses universités les archives des grands éditeurs...