Le théâtre du savoir
Yves Alix
Les bibliothèques – simplifions –, ce sont des collections documentaires conservées dans des espaces. Selon les lieux, les types d’établissements, la nature des services proposés aux publics, ces collections sont plus ou moins visibles. Le spectre est large, de la lecture publique qui propose la totalité des fonds en libre accès jusqu’aux établissements patrimoniaux qui les tiennent en magasin et en réservent l’accès aux seuls chercheurs, avec tout l’éventail des situations intermédiaires et de la mixité des fonctions. Dans tous les cas, le rapport de ces collections avec les espaces où elles sont conservées ou déployées est complexe. Il met en jeu tout à la fois l’architecture, la psychologie, la sociologie, l’ergonomie. Il interroge les politiques publiques et leur volonté de favoriser l’accès de tous au savoir. Avec le développement des bibliothèques et l’élargissement des publics, les professionnels ont dû penser puis mettre en pratique une relation fondée non plus sur l’organisation de la conservation, mais essentiellement sur la communication, dans toute la diversité de ses modes.
Communiquer, projeter un discours ou proposer des parcours, autant de formes de mise en scène. La collection est le texte, la bibliothèque la scène où le public est invité à la découvrir. L’interaction entre la scène et la salle est la clé de la réussite, qui va permettre à chacun d’entrer dans le cœur du message, ce savoir organisé que nous proposons – et qui, aujourd’hui, se construit avec les utilisateurs.
La dématérialisation ne détruit pas ce jeu. Certes, elle le déplace, et nous ne pouvons savoir si l’accès à distance et la bibliothèque universelle à domicile annoncent « la fin des bibliothèques ». En attendant, il reste beaucoup à apprendre de l’analyse des différentes formes de mise en espace des objets qui font la bibliothèque, du manuscrit au multimédia, du livre numérisé au fichier musical, de la photo au site web. Il y a aussi beaucoup à gagner à en mesurer les effets, pour adapter nos pratiques. La bibliothèque n’étant pas seule dans le monde du savoir et de la culture, sachons nous tourner vers nos partenaires, pour confronter nos expériences et prendre les bonnes idées là où elles sont. Qui mieux que le libraire sait mettre en scène les livres, pour donner au passant l’envie de lire ? L’archiviste n’est-il pas là aussi pour nous aider à maîtriser les enjeux de l’accumulation de la mémoire ? Le scénographe et le conservateur du musée, travaillant de pair à la mise en valeur des œuvres, sont assurément les meilleurs guides pour réussir l’exposition de nos propres trésors et la dramaturgie de leur découverte. Et nos collègues documentalistes ont beaucoup à nous dire sur l’organisation de l’accès aux ressources en ligne.
Comme le théâtre et le cinéma, œuvres collectives, nous l’ont appris, il faut des passeurs pour accéder à toute la richesse des savoirs. Jouvet le disait autrement : « La mise en scène est une naissance. »