Paris, capitale des livres
le monde des livres et de la presse à Paris, du Moyen Âge au xxe siècle
Paris, Paris-Bibliothèques, Presses universitaires de France, 2007, 339 p., ill., 33 cm
ISBN 978-2-84331-162-8 : 45 €
Incroyable, mais vrai : il n’y avait jamais eu, à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, d’exposition consacrée à l’histoire du livre parisien ! C’est maintenant chose faite, grâce à une exposition organisée du 27 novembre 2007 au 3 février 2008, dont le présent ouvrage constitue le catalogue enrichi. Frédéric Barbier et Jean Dérens, dans leur introduction, nous promettent qu’elle sera suivie d’autres manifestations permettant d’explorer plus précisément certains thèmes ici abordés. Introduits par les meilleurs spécialistes de la question, Marie-Hélène Tesnière, Pierre Aquilon, Geneviève Guilleminot-Chrétien, Jean-Dominique Mellot, Sabine Juratic, Frédéric Barbier et Catherine Bertho-Lavenir, les sept chapitres chronologiques sont subdivisés thématiquement, présentant un tableau complet, érudit et bien illustré – malgré l’absence fâcheuse de quelques redressements de courbure – de l’aventure du livre à Paris : les pièces exposées, illustrant l’organisation des métiers, la vie quotidienne du « petit monde du livre », les progrès techniques, les productions majeures de l’imprimerie parisienne, les grandes œuvres de la vie littéraire, intellectuelle et artistique, sont présentées par des notices longues, rédigées par de très nombreux chercheurs et conservateurs.
L’aventure commence autour de la création de l’université parisienne, qui fait passer la production des manuscrits du monde clos des monastères à celui, ouvert et semi-laïc, des étudiants et des copistes, qui fixent pour plusieurs siècles le monde du livre parisien dans la topographie de l’université (la rue Saint-Jacques), de l’évêché et du pouvoir royal (l’île de la Cité). Les commandes princières des fils de Philippe VI donnent l’occasion de présenter quelques chefs-d’œuvre de l’enluminure, et plusieurs paysages parisiens. Le manuscrit perdure, comme objet de luxe, en parallèle à la production « prêt-à-porter » de l’imprimé.
Depuis l’installation de Guillaume Fichet et Johann Heynlin à l’enseigne du Soleil d’or, l’imprimerie s’incardine à Paris entre la Seine et la Sorbonne. Les grands noms de l’imprimerie parisienne travaillent en intime collaboration avec ceux de l’humanisme, constituant un réseau d’intellectuels érudits où auteurs et fabricants sont étroitement confondus. La clientèle des bourgeois enrichis suscite une autre production, celle des missels et livres d’heures, des ouvrages de piété illustrés de gravures sur bois ou sur cuivre, des almanachs. Les troubles religieux amènent les premières tentatives de contrôle du pouvoir royal et ecclésiastique, et débouchent sur une crise grave au moment de la Ligue, mais l’imprimé, textuel et iconographique, a désormais pénétré pour toujours au cœur de la vie urbaine.
Le xviie siècle voit la naissance d’un nouveau modèle de diffusion des informations, le périodique, mais aussi celle des institutions officielles qui vont désormais encadrer la production imprimée : Académies, Imprimerie royale, pensions et gratifications, direction de la Librairie, permissions et privilèges, dans un contexte de rayonnement sans précédent des lettres françaises. En marge de ce contrôle omniprésent, le colportage permet la circulation d’œuvres plus audacieuses, tandis que les imprimeurs parisiens, confrontés aux contrefaçons de leurs confrères de province, font affirmer leur monopole et trouvent dans l’impression des textes officiels un complément de revenus indispensable. Le siècle des Lumières sera celui des impressions clandestines et des fausses adresses, de la complaisance occulte des autorités de censure, des ouvrages scientifiques luxueusement illustrés, des petits formats faciles à dissimuler ou à glisser dans une poche, du « livre-bijou » au raffinement inégalé.
Après la Révolution, les révolutions techniques préparent l’avènement de l’imprimerie de masse, du livre bon marché, de la presse quotidienne de large diffusion, en même temps que la naissance de la figure de l’éditeur (événement capital, qui aurait pu être davantage développé) et celle d’un nouveau lectorat. L’édition parisienne se confond désormais totalement avec l’histoire intellectuelle, politique et artistique nationale, élargissement de champ qui n’a pas facilité le travail des auteurs et commissaires de l’exposition. La géographie du livre parisien se déplace progressivement, vers l’ouest de la rive gauche pour les grandes maisons d’édition, vers la rive droite et les grands boulevards pour le monde de la presse. L’époque contemporaine est marquée par la concentration de l’édition, l’externalisation du façonnage, l’apparition des techniques de l’immatériel et l’avènement du monde soi-disant « post-gutenbergien ». C’est la partie la plus contestable, à notre sens, de l’exposition : les quelques livres d’artistes présentés, dont la qualité esthétique est de tout premier plan, ne donnent qu’une idée bien déformée des réalités de l’édition parisienne au xxe siècle.
Tout choix s’expose à des critiques, et l’on peut évidemment pinailler sur l’absence de telle ou telle figure de premier plan (Henri Estienne… Hachette, Hetzel, Gallimard !), absence que les auteurs assument sans la justifier autrement que par l’arbitraire. Il n’en demeure pas moins que cet ouvrage constitue une présentation tout à fait remarquable, complète, et d’un haut niveau scientifique, de la vie du livre et de l’imprimé à Paris. Reste à savoir à qui s’adresse ce bel ouvrage : l’érudition de ses notices le destine plutôt aux spécialistes, historiens, étudiants et professionnels du livre, qui y trouveront une synthèse de qualité sur un sujet immense et majeur. Dans ce cas, la présentation de l’ouvrage est trop luxueuse, son format et son papier glacé lui confèrent une lourdeur qui n’en rend pas la lecture agréable. Le public cultivé sera séduit par la munificence de la présentation, la splendeur des reproductions, la qualité pédagogique des remarquables introductions. Il déplorera l’absence d’un glossaire des termes techniques qui lui rendra difficile la lecture de certaines notices. Défaut fréquent des catalogues d’exposition, hésitant entre le beau livre qu’on feuillettera sans jamais le lire et l’outil scientifique qu’on gardera longtemps sur sa table de travail.