Le père Castor en poche, 1980-1990

ou comment innover sans trahir ?

par Nic Diament

Claire Delbard

Paris, L’Harmattan, 2007, 300 p., ill., 22 cm
Coll. Inter-National
ISBN 978-2-296-04638-2 : 28,50 €

À une époque où de plus en plus d’universitaires, issus de disciplines variées comme la littérature comparée, l’histoire de l’édition, celle des politiques culturelles ou la sociologie…, investissent le champ de la littérature de jeunesse comme objet d’études, nous voyons avec plaisir arriver sur les rayons des bibliothèques des ouvrages dont l’érudition se double d’une grande lisibilité. Les uns, généralistes, ont l’ambition de couvrir des domaines ou des périodes larges, comme le remarquable ouvrage de Francis Marcoin 1 publié en 2006. Les autres, plus pointus, portent sur des objets plus restreints, mais n’en éclairent pas moins un secteur trop longtemps méconnu.

C’est à ce deuxième groupe qu’appartient l’ouvrage de Claire Delbard, directement issu de la thèse, dirigée par Jean-Yves Mollier, qu’elle a soutenue en décembre 2004. Il est consacré à l’analyse d’une collection romanesque de poche, dans la décennie 1980-1990.

L’objet pourrait paraître étroit mais il est l’occasion d’un formidable tour d’horizon de l’édition française de jeunesse.

N’hésitant pas à remonter dans un passé relativement lointain, C. Delbard commence par décrire dans une substantielle première partie l’histoire du Père Castor et de son fondateur Paul Faucher (1897-1967). Elle y démontre avec enthousiasme l’importance des apports de ce pionnier et la révolution qu’a représentée le lancement des Albums du Père Castor en 1931. Elle explicite les principes (maniabilité, légèreté, lisibilité, faible coût) qui présidaient à leur confection, le durable succès qu’ils ont rencontré et la qualité, voire le génie, de leurs auteurs et illustrateurs.

Avant d’aborder son sujet, elle prend le temps de nous instruire sur le contexte économique de l’édition des années post-soixante-huitardes, sur les principales tendances esthétiques et les choix éditoriaux de l’ensemble du secteur adressé au lectorat jeune.

En resituant la naissance de Castor-poche dans l’histoire du livre de poche et celle de toutes ces collections-romanesques-de-poche-pour-la-jeunesse qui se créent au tournant des années 80, elle n’oublie pas d’interroger la définition même de cet objet « à la frontière de plusieurs dichotomies : celle de la couverture souple et de la reliure rigide, celle de la première vie d’un ouvrage et de la deuxième vie du même ouvrage, celle du texte inédit et du texte classique, celle enfin du livre de poche en général par rapport au livre de poche jeunesse ».

Elle analyse la politique éditoriale de François Faucher, fils de Paul, aux commandes des éditions du Père Castor/Flammarion depuis 1967 : « F. Faucher définit sa ligne éditoriale d’abord par la négative : il rejette les histoires “à l’eau de rose”, la littérature scolaire déguisée, la littérature à prétention intellectuelle qui satisfait selon lui plus la névrose des adultes que la formation des jeunes lecteurs. » Elle nous rend compte, dans le détail et la précision, des procédures de sélection des manuscrits – il en arrive chaque année entre 300 et 600 ! – de la part importante de littérature étrangère dans le corpus, des raisons de ce choix et du soin apporté à la traduction de ces textes. Elle rend compte des subtilités de la charte graphique et des choix typographiques auxquels la formation de typographe de F. Faucher n’est sans doute pas étrangère.

Enfin, en puisant abondamment son information dans les archives du Père Castor, à Paris et à Meuzac 2, C. Delbard consacre sa dernière partie à la vie économique (techniques et choix de fabrication, politique commerciale) de la collection, qui sera diffusée à parts quasi égales entre librairies de premier et deuxième niveau, grande distribution et export/grossistes.

C. Delbard a fondé sa recherche sur une connaissance vaste et approfondie des travaux qui l’ont précédée et son abondante et excellente bibliographie en fin de volume en témoigne.

Elle s’est appuyée sur des sources variées, riches et surtout de première main : comptes rendus de lecture, notes de fabrication, ordres de tirages, contrats d’illustrateurs, correspondances diverses… Elle a, grâce à la confiance que lui ont visiblement témoignée les acteurs comme François Faucher et Martine Lang, rendu vivants les enjeux, les débats et les questions qui ont été ceux d’une génération d’éditeurs jeunesse dans un passé proche.

Si on peut regretter quelques maladresses d’expression et quelques raccourcis parfois un peu abrupts, il n’en reste pas moins que la publication de ce travail, d’une rigueur exemplaire, est tout à fait opportune et éclairante sur l’histoire récente de l’édition pour la jeunesse française.