Les bibliothèques pour la jeunesse
Évolution ou révolution ?
Maïté Vanmarque
À l’occasion du cinquantenaire de son secteur jeunesse, la bibliothèque de Caen organisait, le lundi 10 mars 2008, une journée d’étude intitulée : « Les bibliothèques pour la jeunesse : évolution ou révolution ? ». La matinée se proposait de resituer les bibliothèques pour la jeunesse dans un contexte historique mais aussi prospectif, tandis que l’après-midi s’articulait autour des publics, des partenariats et du rôle des bibliothèques pour la jeunesse dans la cité.
Geneviève Le Cacheux, fondatrice du secteur jeunesse de la bibliothèque de Caen en 1958, ancienne directrice de l’établissement, et Marie-Françoise Pointeau, responsable du secteur jeunesse pendant quarante ans, ont ouvert la journée en retraçant l’histoire de leur structure. Elles s’accordaient à dire que si les évolutions avaient été nombreuses au fil du temps, les fondamentaux demeuraient les mêmes : l’amour des livres et des enfants, la communication, la médiation, l’ouverture et la constante remise en question. Les bibliothèques pour la jeunesse se doivent d’être en évolution permanente, afin de s’adapter aux supports, aux pratiques et aux besoins des publics.
Aline Présumey dressa l’historique de la bibliothèque des enfants de Clamart depuis la construction de la bibliothèque de La Joie par les livres en 1964, jusqu’à la constitution de l’association « La petite bibliothèque ronde » en 2007. Elle souligna l’importance des structures de proximité et du travail en partenariat, et invita par ailleurs les bibliothécaires à tenter de nouvelles expériences, tout en soulignant une des difficultés majeures, celle de l’abondance de propositions auxquelles les enfants doivent faire face, et qui finit paradoxalement par empêcher leur désir d’émerger.
De la petite enfance à l’adolescence : repenser nos pratiques
L’intervention de Jean-Claude Utard, inspecteur des bibliothèques de Paris, fut convaincante et remarquée. Avec impertinence et humour, il invita l’assistance à interroger ses pratiques à travers l’exemple des bibliothèques parisiennes. La place de l’enfant dans la société a changé : acteur de sa propre vie, citoyen, sujet de droit, l’enfant est aussi consommateur à part entière, et donc cible marketing. Or, à quels enfants s’adressent les bibliothèques pour la jeunesse ? De quelles représentations souffrons-nous ? Nos actions reflètent-elles nos publics ? Jean-Claude Utard épingla la prédilection des bibliothèques pour la petite enfance, au détriment des autres publics jeunes. Certes, la concentration sur la petite enfance a eu des effets positifs, parmi lesquels le retour des jeunes actifs devenus parents, le développement des partenariats et du hors les murs, la médiation permanente ou encore… une plus grande tolérance au bruit (!), mais les bibliothécaires ont survalorisé ces actions et leurs effets. Même si la demande sociale et familiale est forte, il faut revenir aux fondamentaux : toucher les publics éloignés du livre et de la lecture (PMI, centres sociaux), accueillir les parents et les enfants in situ, ne plus agir à la place des puéricultrices, mais les accompagner dans leur formation et leurs pratiques.
Après avoir dressé la liste des caractéristiques socioculturelles des adolescents (importance du groupe, culture d’abord musicale et audiovisuelle, s’affranchissant de la prescription et de la médiation, moins d’attachement au support, faible distinction entre sphère publique et privée), soulignant que la culture des adolescents d’aujourd’hui sera celle des adultes de demain, Jean-Claude Utard sut poser les questions qui font réfléchir : nos bibliothèques sont-elles adaptées à ces usages ? Que proposons-nous aux « digital natives » ? Pragmatique, il proposa quelques pistes : raisonner en parcours et non plus en espaces réservés, afin de permettre les pratiques multiples et le mélange des publics ; revoir la hiérarchie des collections en partant des demandes ; redonner toute leur place aux bibliothécaires jeunesse ; réinventer nos accueils, nos animations et nos services, afin de faire de nos bibliothèques de vrais lieux de vie ; réglementer pour les usagers et non contre eux, notamment en tolérant l’expression de la vie.
Comprendre les mécanismes
L’après-midi débuta par un tour d’horizon de Bernadette Seibel, sociologue et présidente de Lecture Jeunesse, qui cerna la place de la lecture au sein des pratiques des publics jeunes. Le déclin de la lecture chez ceux-ci vient de sa scolarisation et de sa dévalorisation symbolique, mais aussi de l’affaiblissement de la culture littéraire par rapport à la culture scientifique. La lecture s’inscrit dans une sociabilité familiale plutôt qu’amicale, et le capital culturel livresque de la mère est important dans le développement de la lecture chez les jeunes. B. Seibel interrogea par ailleurs les modes d’appropriation de la lecture par les adolescents : divertissement, connaissance, mais aussi « essayage » ou construction de soi.
Serge Martin, maître de conférences en langue et littérature françaises à l’IUFM de Caen, compara l’approche de la lecture dans les bibliothèques scolaires et publiques. La bibliothèque est une construction sociale, une œuvre toujours en cours. L’important n’est pas tant le résultat (la bibliothèque instituée) que le processus. Il souligna la nécessaire articulation entre instruction et animation, mais aussi l’importance, chez le lecteur, de la construction d’une position critique.
Pascale Caret, coordinatrice du contrat ville-lecture à la bibliothèque de Caen et Hélène Raout, bibliothécaire, présentèrent les actions menées à destination des bébés-lecteurs et particulièrement le tapis-lecture, outil d’animation circulant sur le réseau des bibliothèques, accompagné de sa malle (livres, bibliographie, propositions d’animations mais aussi contrat de prêt ou fiche d’évaluation). Face au succès de cet outil, vingt-sept structures petite enfance ont été formées, et onze autres tapis ont été créés.
Se nourrir des expériences des autres
Pour clore la journée, Michelle Charbonnier, bibliothécaire à l’Heure joyeuse et chargée de formation à Lecture Jeunesse, dressa un panorama des initiatives menées dans des bibliothèques étrangères et françaises à destination des publics adolescents : le Teen’Scape à Los Angeles ; Singapour et son espace dédié aux adolescents ; la bibliothèque de Stockholm qui propose des concerts rock, des ateliers rap ou des « chats » avec des bibliothécaires de plusieurs pays ; Intermezzo à Toulouse, qui favorise le butinage et l’appropriation en douceur des collections ; la bibliothèque de Saint-Cloud et son présentoir d’ouvrages facilement identifiable qui se déplace au sein de la bibliothèque mais aussi dans les centres socioculturels ; les « Chemins de traverse » de Bourges, présentation d’ouvrages préparée en commun entre les secteurs adulte et jeunesse ou encore le pôle Ados de Troyes. Elle concluait sur l’importance de la prise en compte de la parole des adolescents et de leur nécessaire implication.