Les publics des bibliothèques pour la jeunesse

Éric Hébert

Le 13 mars 2008, la bibliothèque Buffon a accueilli une journée organisée par la Bibliothèque nationale de France, Centre national de la littérature pour la jeunesse – La Joie par les livres et la commission Jeunesse de l’Association des bibliothécaires de France, consacrée aux publics des bibliothèques pour la jeunesse.

Les bibliothécaires constatent des évolutions dans la fréquentation des sections jeunesse des bibliothèques publiques face auxquelles ils s’interrogent. Quelle est la composition de ces publics, du plus jeune âge aux adolescents mais aussi adultes ? Quels usages, pratiques et comportements observe-t-on ? Quelle offre les sections jeunesse proposent-elles et comment définissent-elles leur place et leur rôle dans les établissements de lecture publique ?

Avant le congrès de Reims de l’ABF en juin qui portera sur : « Parcours en bibliothèques : des adonaissants aux jeunes adultes », cette journée d’étude est l’occasion de réflexions sur les publics et les pratiques culturelles, et sur l’offre proposée par les bibliothèques.

Viviane Ezratty, de la bibliothèque de l’Heure joyeuse, confirme que les changements sont multiples. Le nombre d’établissements a augmenté, le public est rajeuni, une meilleure prise en compte du public handicapé s’est développée, et la place et le nombre des adultes sont plus importants dans les espaces des enfants. C’est pourquoi elle s’interroge sur la problématique de l’accueil du public, le besoin d’assouplir les frontières des espaces et de travailler différemment, tout en observant ce qui se passe dans les autres pays.

Les publics

Christophe Evans (service Études et recherche de la Bibliothèque publique d’information) nous informe du lancement sur six sites d’une étude pour connaître les 11-18 ans, pilotée par la BPI et confiée à Tosca Consultants. Il nous rappelle quelques grandes tendances tirées de l’enquête du Crédoc de 2005, notamment le recul de la fréquentation des adolescents inscrits et l’accroissement de la fréquentation des non-inscrits.

Pour lui, il faut relancer « les procédures d’inscription et d’accueil des adolescents, et ne pas multiplier les accueils des classes, car ceux-ci entraînent souvent chez les “élèves” un rejet de la bibliothèque ».

Malgré tout, Véronique Fortin, conseillère pédagogique de l’Éducation nationale, défend « le projet de l’élève et ses besoins de lieux bibliothèques, ainsi que la nécessité de nouer des coopérations entre les écoles et les bibliothèques ».

Les pratiques culturelles

Benoît Virole, psychanalyste et écrivain, a pu observer le sens intime des pratiques culturelles chez les jeunes. Trois fonctions déterminent les relations des enfants avec les œuvres culturelles :

la recherche d’identité qui est une reconnaissance de proximité et de familiarité (Titeuf) ;

la recherche d’intelligibilité qui rend accessible un modèle d’organisation (Harry Potter) ;

la recherche cognitive qui prime sur les émotions et permet une représentation de l’avenir et une transformation (identification projective au héros).

Ces fonctions sont remises en cause par le développement du numérique, la commercialisation de la culture et les évolutions sociétales.

Sylvie Octobre, sociologue (département des Études, de la prospective et des statistiques, ministère de la Culture), s’appuie sur une enquête sur les loisirs culturels des 6-14 ans effectuée en 2004 pour affirmer que « la place des jeunes sur les marchés culturels privés et publics est importante » malgré des discours sur la crise de la culture. « L’individuation est précoce, et on assiste à une résorption des écarts entre enfants d’ouvriers et enfants de cadres pour l’accès aux loisirs culturels. » On constate également une crise des transmissions familiales et sociales.

L’offre

Elsa Zotian, doctorante en anthropologie à l’École des hautes études en sciences sociales à Marseille a évalué la pertinence de l’offre jeunesse à la bibliothèque de l’Alcazar *. Cette étude de cas, effectuée en 2005, souligne que si « les pratiques des usagers ont été modifiées, le regard porté sur les pratiques des usagers a aussi changé ». Les facteurs du succès de l’ouverture de cet établissement sont l’accès libre au multimédia, les aides aux devoirs par les bibliothécaires, et surtout la possibilité offerte à des jeunes issus de l’immigration d’emprunter des biens culturels gratuits. Pour Elsa Zotian, « évaluer la pertinence de l’offre, c’est connaître son public de manière plus fine ».

Une table ronde, animée par Élisabeth Rozelot, présidente de la commission Jeunesse de l’ABF, et Katy Feinstein, de la BM de Grenoble, a réuni des représentants d’établissements : Danielle Frelaut (BM de Chevilly-Larue), Violaine Kanmacher (BM de Lyon) et Dominique Lahary (BDP du Val-d’Oise). Face à la stagnation du nombre de lecteurs, ces bibliothécaires préconisent de décloisonner les collections adulte et jeunesse, de travailler avec d’autres partenaires, notamment dans le soutien scolaire.

L’entretien avec Dominique Coffin, chargée de mission Lecture à la ville de Nantes, mené par Catherine Picard, de la commission Jeunesse de l’ABF, confirme que « l’enjeu de la politique lecture de la ville demeure plus que jamais culturel, éducatif et social ».

Jean-Claude Utard (Inspection générale des bibliothèques de la ville de Paris) conclut qu’il est nécessaire d’établir de nouvelles relations avec l’usager et d’expérimenter de nouveaux modes d’organisation.