Les bibliothèques suisses en chiffres

Jean-Philippe Accart

Cet article présente l’évolution des statistiques sur les bibliothèques suisses à travers les premières collectes de données au XIXe siècle, la collecte et la publication par l’Office fédéral de la statistique et l’Association des bibliothèques et bibliothécaires suisses (BBS) à partir de 1960, les changements apportés par la « nouvelle statistique des bibliothèques suisses » en 2002, et la collecte informatisée avec eBiblio à partir de 2008.

This article presents the development of statistics on Swiss libraries, from the earliest data collected in the 19th century to the gathering and publication of data by the Federal Office of Statistics and the Swiss Library Association (BBS) from 1960 onwards. It also presents the changes arising from a new initiative to gather statistics on Swiss libraries in 2002 and computerised data collection with the launch of the eBiblio service in 2008.

Dieser Artikel stellt anhand der ersten Datenerhebungen im 19. Jahrhundert, der Erhebung und der Veröffentlichung durch das Bundesamt für Statistik und die Vereinigung der Schweizer Bibliotheken und Bibliothekare (BBS) seit 1960, der durch die „neue Statistik der Schweizer Bibliotheken“ von 2002 herbeigeführten Änderungen und der elektronischen Erhebung mit eBiblio seit 2008 die Entwicklung der Statistiken über die Schweizer Bibliotheken vor.

Este artículo presenta la evolución de las estadísticas sobre las bibliotecas suizas a través de las primeras recolecciones de datos en el siglo XIX, la recolección y la publicación por parte de la Office federal de la estadística y de la Asociación de las bibliotecas suizas (BBS) a partir de 1960, los cambios aportados por la “nueva estadística de las bibliotecas suizas” en 2002, y la recolección informatizada con eBiblio a partir del 2008.

La Suisse, même si son territoire n’est pas très étendu 1, est un des pays au monde le mieux doté en matière d’infrastructures du savoir : bibliothèques, médiathèques, centres de documentation et d’archives couvrent le pays en un maillage dense, enrichi par la diversité linguistique 2.

Trois grands réseaux de bibliothèques coexistent : Der Informationsverbund Deutschschweiz (IDS) 3, soit 450 bibliothèques pour la partie suisse-allemande ; le Réseau des bibliothèques de Suisse occidentale (Réro) 4 pour la partie francophone, soit 200 bibliothèques ; et le Sistema bibliotecario ticinese (SBT) 5 pour la partie italienne avec 70 bibliothèques. À ces réseaux s’ajoutent de grandes institutions telles que la Bibliothèque nationale 6, les bibliothèques des écoles polytechniques fédérales à Zurich et Lausanne 7, les bibliothèques des organisations internationales (soit plus de 190 institutions à Genève seulement, mais qui n’entrent pas dans le cadre des statistiques officielles), des réseaux d’universités, et un certain nombre de bibliothèques petites et moyennes, généralement spécialisées.

De la collecte traditionnelle à la saisie en ligne

En Suisse, les bibliothèques font l’objet de statistiques depuis le xixe siècle : en 1868, puis en 1911, près de 6 000 bibliothèques sont auscultées. Les données commencent à être publiées dès 1927, et c’est depuis 1960 que l’Office fédéral de la statistique (OFS) 8 collecte et publie les données, en conjonction avec l’Association des bibliothèques et bibliothécaires -suisses (BBS) 9 qui délègue un des membres de son comité directeur 10.

Le système de collecte des données, assez ancien, a dû évoluer en même temps que les bibliothèques. La technologie est pour beaucoup dans cette nouvelle appréciation des bibliothèques, avec la gamme étendue des prestations et services offerts : création de catalogues collectifs en ligne suite à la mise en place des réseaux de bibliothèques ; médias électroniques proposés (périodiques en ligne ; banques de données au travers du Consortium des bibliothèques universitaires suisses 11 ; services de référence virtuels ; archivage du web suisse ; réservoirs de documents numériques tel Rérodoc 12…). Ces prestations et services nouveaux doivent être mesurés à l’instar des acquisitions, du prêt ou du prêt entre bibliothèques, plus traditionnels.

En interne, les bibliothèques ont également évolué : dans le cadre de la Nouvelle gestion publique (NPM, New Public Management), elles s’apparentent à des entreprises de services et doivent présenter des résultats. À titre d’exemple, citons la Bibliothèque nationale suisse qui fait partie de l’Office fédéral de la Culture, lui-même rattaché au Département fédéral de l’Intérieur. La BN est une unité GMEB (gestion par mandat de prestation et enveloppe budgétaire) 13 ; elle est dirigée par Marie-Christine Doffey, qui s’appuie sur les conseils de la Commission de la bibliothèque dont les membres sont désignés par le Conseil fédéral. Son activité suit un mandat de prestation évalué régulièrement 14. Dans ce dessein, des instruments de gestion qui permettent de contrôler l’activité globale et de réaliser des études comparatives sont introduits.

La méthodologie et les données actuelles

À partir de 2002, le groupe de travail « Statistique des bibliothèques » de la BBS, en collaboration avec l’OFS, a proposé un changement radical dans l’établissement des statistiques suisses, afin de tenir compte de ces évolutions. Dorénavant, les bibliothèques suivantes sont représentées :

  • les bibliothèques à vocation nationale : la Bibliothèque nationale (dont le service principal est le prêt, contrairement à d’autres bibliothèques nationales) ; la Phonothèque nationale ; la Cinémathèque suisse qui comprend deux bibliothèques à Lausanne et Zurich ;
  • les bibliothèques universitaires, de réseaux universitaires, de facultés, soit 214 bibliothèques ;
  • les bibliothèques des sept hautes écoles spécialisées 15, soit 80 bibliothèques ;
  • les bibliothèques publiques, soit 68 bibliothèques.

Les bibliothèques de ces catégories sont recensées comme des unités administratives (avec une direction ou une administration unique). Leurs collections doivent être supérieures à 10 000 documents, traités selon les normes du catalogage par un personnel professionnel. Les bibliothèques scolaires ne sont pas incluses dans ces statistiques.

Les statistiques actuelles (soit 72 chiffres clés) recensent :

  • les ressources et les prestations fournies aux usagers, notamment les prêts (par jour ouvrable ; par utilisateur actif), les manifestations, visites guidées et formations ;
  • le personnel : nombre de personnes et équivalents plein temps ;
  • l’accessibilité : surface publique en m2, total des places de travail publiques dont celles informatisées ;
  • les finances : dépenses courantes dont les charges de personnel et les dépenses de fonctionnement ; les frais d’acquisition d’un document traditionnel ou électronique ;
  • l’offre (documents traditionnels et électroniques), la croissance et l’utilisation des bibliothèques (avec le nombre d’utilisateurs actifs) dans leur état actuel et comparé avec l’état antérieur.

L’analyse des données est fondée sur un taux de réponses de 75 % des bibliothèques d’une catégorie. Le dernier taux (analyse 2006) était de 78,4 %.

Les données brutes relevées sont publiées sur le site de l’OFS 16 qui réalise également des analyses ou des études sur les bibliothèques : nombre et utilisation des collections ; données sur la formation ; état et utilisation des médias électroniques sont parmi les éléments recensés. Cette nouvelle statistique des bibliothèques suisses est précieuse pour comparer les bibliothèques entre elles et faire connaître leurs prestations. Elle est compatible avec les normes internationales telles celles d’Eurostat, de l’ISO 2789 ou de LibEcon 17 qui publie un rapport international sur les bibliothèques.

eBiblio

À partir de cette année, la collecte des données est informatisée à l’aide d’un instrument en ligne proposé par l’OFS : eSurvey, décliné en eBiblio 18 pour les bibliothèques. Il se présente sous la forme d’un questionnaire qui permet, hormis des gains de coûts et de temps non négligeables, de vérifier si les données recueillies sont complètes et cohérentes. C’est le fruit d’une coopération lancée en août 2006 entre l’OFS et l’Institut de gestion publique de la haute école spécialisée zurichoise de Winterthur (IVM-ZHW). Jusqu’ici, l’Institut était mandaté par 22 grandes bibliothèques pour comparer annuellement leurs prestations : le travail de collecte était donc réalisé d’une part par l’OFS et d’autre part par l’Institut. Avec l’outil eSurvey, les données sont maintenant saisies en même temps, peuvent être extraites et analysées pour réaliser tout type d’analyse. L’outil eSurvey fait partie d’un projet global, Generic Service Oriented Architecture.

Quelques chiffres

Les bibliothèques universitaires

En 2004 (chiffres publiés en avril 2006), les bibliothèques universitaires suisses ont réalisé 3,4 millions de prêts (soit 798 prêts par jour ouvrable) et possédaient 40 millions de documents dont 75 % d’imprimés. 185 000 journaux et périodiques électroniques sont mis à disposition.

122 000 m2 de surface étaient comptabilisés, avec une offre de 17 000 places de travail dont 2 300 informatisées.

2 169 bibliothécaires occupaient 1 440 postes de travail à temps plein.

La Bibliothèque nationale

En 2006, la Bibliothèque nationale compte 3 853 533 documents (soit + 1,6 % par rapport à 2005), 19 694 utilisateurs inscrits et 3 708 actifs. 83 000 documents ont été prêtés, 20 600 renseignements donnés et 10 226 utilisateurs ont visité les expositions et manifestations organisées par la BN. Le site web de la BN 19 a été visité 205 000 fois.

Les bibliothèques publiques

Les bibliothèques publiques regroupent les bibliothèques cantonales 20 et les bibliothèques de lecture publique, réparties selon leur taille (petite, moyenne et grande) en fonction du nombre d’équivalents temps plein. Dans 68 bibliothèques (analyse 2006), ce sont les prêts qui constituent l’activité la plus marquante. Seules les bibliothèques les plus importantes offrent des médias électroniques, comme la médiathèque Valais 21 avec 34 753 documents électroniques.

Un avenir statistique prometteur

La nouvelle statistique des bibliothèques suisses, bien que récente, est prometteuse : elle permettra d’avoir une vision d’ensemble plus exacte et plus précise que par le passé. L’Association des bibliothèques et bibliothécaires suisses est un des maîtres d’œuvre de ce travail essentiel pour la mesure de l’activité professionnelle, pour une comparaison internationale et, au final, pour une meilleure reconnaissance des professions de l’information et de la documentation en Suisse.

Illustration
Vue intérieure de la Bibliothèque nationale suisse. Photo : Service Photographie et reprographie BN

Mars 2008