Bilan de santé
Yves Alix
L’évaluation des politiques publiques est un impératif qui s’impose à tous les acteurs publics, pour en vérifier le bien-fondé, en mesurer les résultats, en corriger les défauts. Cependant, au-delà de la pétition de principe, la question des méthodes et des moyens de cette évaluation vient assez vite polluer le discours et, bien souvent, décourager les meilleures volontés : que mesurer, avec quels instruments (comme Prévert, devons-nous chercher « la fameuse machine à peser les balances » ?) et ensuite, que faire des constats et des résultats, si les politiques, qui vous ont sommés d’évaluer, ne vous indiquent aucune direction à suivre ?
Dans les bibliothèques françaises, les « trente glorieuses » d’un développement quasi ininterrompu depuis les années 70 jusqu’au tournant du siècle ont sans doute fait l’effet d’un écran de fumée : à quoi bon évaluer, puisque les résultats, de toute évidence, étaient excellents ? Pourtant, dès 1994, les auteurs réunis sous la direction d’Anne Kupiec dans Bibliothèques et évaluation 1 posaient de bonnes questions. Et Thierry Giappiconi, en 2001, fournissait à son tour questions, réponses et outils 2 pour aider les bibliothécaires à théoriser et à mettre en pratique une évaluation dont chacun reconnaissait enfin la nécessité, tant les réussites apparentes pouvaient cacher des blocages et des désillusions à venir.
Le BBF propose de rouvrir le dossier, dans une optique résolument prospective. Les outils de l’évaluation ont progressé, la généralisation des traitements numériques et le développement des réseaux ayant grandement contribué à faciliter échanges, mutualisation et comparaisons fructueuses. C’est donc moins aux outils de l’évaluation, toujours perfectibles certes, mais déjà très performants, qu’il faut s’intéresser, qu’à l’usage qu’on en fait. Car si nous voulons que les bibliothèques aient toute leur place dans la société du savoir – et rien n’est moins sûr, rien n’est moins acquis, les statistiques et les enquêtes nous le disent assez – nous devons plus que jamais nous demander ce qu’elles doivent être, à la lumière de ce qu’elles sont.
Pour le (petit) monde dans lequel nous travaillons, l’insertion dans une politique déterminée en faveur du développement durable n’est pas le moindre enjeu de ce questionnement, puisque notre microcosme n’est qu’une partie du macrocosme, le (grand) monde hélas fini dans lequel nous sommes. Mais dans les pays pauvres et émergents, le développement durable semble un défi impossible à relever, ou un nouveau coup des nantis. Quel contraste entre les bibliothèques de l’opulente république de Singapour, vues dans notre précédent numéro, et celles du Pérou, que nous découvrons dans celui-ci ! Avant d’être durable, le développement doit d’abord être tangible, diront certains. Ces deux impératifs sont-ils irréconciliables ?