« Séduire en ligne »
Le marketing des portails des bibliothèques et centres de documentation sur internet
Régis Dutremée
La journée d’étude proposée par la Fulbi (Fédération des utilisateurs de logiciels de bibliothèque) le 22 janvier au Fiap Jean-Monnet à Paris posait une question de plus en plus incontournable pour les bibliothèques : celle de la capacité des sites web institutionnels à capter l’intérêt des internautes bien habitués désormais à la force de séduction des sites commerciaux. Les professionnels des bibliothèques, musées, archives s’emparent peu à peu des outils du web 2.0, mais conservent naturellement des réticences vis-à-vis de la logique séductrice de la sphère marchande. Spécialistes du marketing, des sites web, et collègues porteurs de projets novateurs se sont succédé sur l’estrade pour nous permettre de mieux appréhender les enjeux de notre communication sur internet.
Marketing et stratégie
Une évidence s’est imposée, les intervenants qui n’étaient pas bibliothécaires ont su faire preuve d’une séduction plus évidente. Pour nous dessiller les yeux sur l’importance du marketing au sein du secteur marchand, Olivier Badot, professeur de marketing à l’ESCP-EAP, a montré, avec des exemples américains et beaucoup d’humour, que le discours rationnel sur le prix, ou le rapport qualité-prix, n’était plus efficace car il développait des attitudes cognitivistes chez le client. Aujourd’hui, l’heure est à la recréation de la valeur, au réenchantement du shopping selon cette théorie du « retailtainment » dans laquelle la fonction cathartique de l’achat est destinée à purger une frustration. La transposition avec nos sites internet, bien que non esquissée par Olivier Badot, s’impose d’elle-même : ils sont fonctionnels mais sans « chaleur ajoutée », d’où un décalage de plus en plus grand avec les sites de vente de biens culturels en ligne, par exemple.
L’intervention d’Émilie Barthet, coordinatrice du département Études et prospectives au sein du consortium Couperin, a plus insisté sur les stratégies de la bibliothèque pour « apprivoiser » l’usager, c’est-à-dire gagner sa confiance en devenant coproducteur et metteur en scène de l’information. Le marketing relationnel a pour but la valorisation des compétences des bibliothécaires et la satisfaction de l’usager. Elle a livré des exemples de services web 2.0 qui peuvent retenir l’attention du lecteur : nuage de tags, intégration des ressources à l’environnement numérique de travail, blog professionnel, flux RSS, création d’un avatar dans Second Life… Toutes ces expérimentations auraient peut-être pu être mises en perspective et évaluées, car elles restent encore rares, et pas immédiatement convaincantes.
La quête d’interaction
Isabelle Aveline, créatrice du site Zazieweb a ensuite résumé les grandes lignes de sa vision de la mutation qui nous fait passer de lecteur à e-lecteur. Les outils restent encore parcellaires, et une interface complète d’accès au texte qui saura susciter le désir de lire est aujourd’hui nécessaire. Le rôle à ne pas négliger à l’avenir est celui du « passeur ».
Joëlle Cohen, consultante, a rappelé que le visuel fait sens, car depuis Mac Luhan, nul n’ignore que le média, c’est aussi le médium. Son analyse sémantique et anthropologique de la notion de séduction a explicité la réticence des bibliothécaires, héritiers de notre tradition platonicienne et judéo-chrétienne, à « séduire en ligne ». Le passage de la recherche de la qualité de présentation du web 1 à la quête d’interaction du web 2.0, passe par une navigation simplifiée et structurée qui fait la part belle à l’espace personnel de l’internaute. Quelques commentaires de sites français réussis, comme ceux de la bibliothèque municipale de Rouen et de l’Enssib ont illustré le propos, ainsi que des sites de lecture publique des États-Unis, d’une richesse encore inconnue ici.
Rozenn Nardin, chargée d’étude qualitative pour le compte de la société Scanblog, a montré comment mesurer l’efficacité d’un site web par le « buzz ». La procédure peut être simplifiée pour une auto-évaluation de l’institution désireuse de connaître son image dans le paysage internet.
Corinne Leblond (SCD de l’université d’Artois) a présenté les limites à l’usage du portail par les étudiants. En effet, pour 90 % d’entre eux, seule la fonction catalogue est utilisée et 80 % des contenus n’intéressent que 10 % des usagers. Le mode de recherche qui a toute leur préférence est le plus simple, celui « à la Google », et la recherche fédérée n’est pas utilisée. Sur place, les usagers sont seulement 1 % à s’identifier, à distance ils sont 20 %. Dans ce contexte, le Visual Catalog a pour but de faire comprendre la structuration du catalogue (indice Dewey, vedettes Rameau) et localiser les collections dans l’espace physique du réseau des bibliothèques. C’est aussi un outil qui permet de formaliser et d’évaluer la politique documentaire avec une représentation concrète du développement des collections.
Sylvie Cabral, de la société Ourouk, a expliqué l’intérêt d’adopter la démarche marketing des sites commerciaux. Elle propose des parcours par type de public, des espaces personnalisables par l’utilisateur et une écriture adaptée au public. Le site doit offrir une expérience plus riche à l’usager et favoriser l’appropriation des contenus. Pour ce faire, il importe de bien connaître l’usage d’internet par son public, et d’être présent là où il est, notamment sur les réseaux sociaux.