Internet et réseaux de connaissance
Entre partage et péages
Hélène Montagnac-Marie
Les 27 et 28 septembre 2007 s’est déroulé au centre Condorcet de Pessac le tout premier Symposium Internet et réseaux de connaissance 1, organisé conjointement par Vox Internet 2 (programme scientifique soutenu par l’Agence nationale de la recherche), le Centre d’étude des médias, de l’information et de la communication de l’université Bordeaux-III (Cemic–Greco), le groupe de recherche international Netsuds 3 affilié au CNRS et la Société française des sciences de l’information et de la communication (SFSIC 4).
Visant à soutenir et rendre plus -visible les recherches française, francophone et européenne sur le rôle d’internet dans la construction des sociétés de la connaissance, ce symposium fait suite à un séminaire proposé par Vox Internet en 2004-2005 et consacré à la gouvernance d’internet, thématique mise en lumière par l’actualité du Sommet mondial sur la société de l’information.
L’appellation symposium recouvrait pour cette rencontre la volonté affichée par le comité de pilotage, et tout particulièrement Amar Lakel et Aurélie Laborde, de s’inscrire dans une démarche souhaitant privilégier une logique de réseau actif autour d’une communauté de savoir pluridisciplinaire, représentée par des participants très divers de par leurs origines et leurs statuts.
André Vitalis, lors de son allocation de bienvenue, a clairement inscrit cette rencontre dans la continuité des travaux entamés dès 1994 autour des « autoroutes de l’information » et pointé le caractère essentiel des travaux permettant d’analyser les nouvelles relations, les nouveaux partages mais aussi les nouveaux péages et responsabilités intellectuelles qu’instaure l’usage contemporain d’internet. Des travaux dont il nous a proposé de suivre l’évolution autour des trois thématiques adoptées pour ce symposium : la gouvernance des savoirs et les compétences démocratiques ; la « gestion des connaissances » dans les organisations ; et enfin le partage international des savoirs.
Gouvernance des savoirs et compétences démocratiques
Françoise Massit-Folléa introduit la première session en réinterrogeant les expressions de « société de l’information » et « société de la connaissance » en regard de l’évolution des revues numériques et de leurs enjeux en termes de marchés, de politiques publiques ou encore de pratiques et d’usagers. Les interventions se sont ici articulées autour des pratiques professionnelles des chercheurs, avec Joëlle Le Marec, et notamment de la recherche-développement face aux possibilités offertes par les échanges informels rendus possibles avec internet, ce qui a conduit Divina Frau-Meigs à envisager une nouvelle gouvernance de la recherche. Laurence Monnoyer-Smith s’est interrogée sur la reconfiguration des pouvoirs en lien avec ces nouvelles médiations entre chercheurs, acteurs et terrain.
Des pratiques collectives que l’on retrouve dans les communautés du libre, analysées par Nicolas Julien qui pointe leur évolution : initiées par des passionnés pour être aujourd’hui confrontées à l’implication des entreprises dont la logique entre parfois en conflit avec celle de ces communautés. Le libre peut aussi être considéré comme une stratégie de diffusion, comme c’est désormais le cas pour certaines publications issues de recherches scientifiques. Cet accès libre pose la question du droit d’auteur sur laquelle s’est penchée Séverine Dussolier, envisageant les différentes possibilités offertes aux auteurs dans le cadre des licences libres, en open source et en copyleft. Les publications en ligne, comme l’a souligné Françoise Thibault, auraient grand besoin de s’appuyer sur une politique publique, à l’instar du livre avec les actions mises en œuvre par le Syndicat national de l’édition et la Direction du livre et de la lecture, afin de leur offrir un rayonnement à la mesure de la qualité des articles qui sont proposés.
La « gestion des connaissances » dans les organisations : des modèles à l’urbanisation
La deuxième session, présidée par Christian Le Moenne, pose la question des frontières non pas en termes d’espace mais au niveau des processus à l’œuvre dans la recherche et la diffusion des savoirs.
C’est ainsi que Benoît Cordelier a retracé les enjeux liés à la mise en place d’un nouvel outil informatique de gestion par projet au sein d’une entreprise, tandis que Gino Gramaccia pointait le caractère primordial de la souplesse et des capacités d’adaptation requises dans le cadre de l’entreprise en réseau. Une souplesse dont pourraient également à l’avenir faire preuve les modèles de gouvernance du savoir dans les organisations publiques, également au cœur des préoccupations avec l’intervention d’A. Lakel puis celle de David Osimo qui, en vidéoconférence depuis l’Espagne, a présenté le projet de recherche eGovernet 5 en Europe.
Enfin, la dimension sociale de l’exclusion (volontaire ou subie) des usages d’internet était au cœur des propos de Nadège Soubiale et A. Laborde présentant les conclusions de leur recherche sur le non-usage d’internet en Aquitaine 6.
Le partage international des savoirs : programme et terrains
La session du samedi matin, présidée par René Otayek, s’est ouverte sur les réflexions proposées par René Delmas, autour des différentes approches du numérique en Europe, et complétées par l’analyse d’Alain Kiyindou concernant la notion d’infoéthique, à partir des travaux du Sommet mondial sur la société de l’information. Les interventions suivantes (Guilaine Thébault, William Turner, Annie Cheneau-Loquay) s’appuyaient sur des travaux en collaboration avec les pays en voie de développement et questionnaient le rôle que peuvent y jouer aujourd’hui les nouvelles technologies. S’est fait jour la tension entre domination du Nord et reconnaissance des savoirs du Sud. À travers de nombreux cas d’étude, on a pu voir émerger les risques d’imposition des schèmes de structuration de la connaissance tels qu’ils ont été élaborés en Europe notamment sur le développement des sociétés africaines. Enfin, Abdullah Cissé est revenu sur la dimension législative et les modalités concrètes de la mise en œuvre d’une gouvernance des TIC qui vient réinterroger les modes d’actions d’une société mondialisée.